Sylvaine est une jeune femme qui vit en milieu rural indéterminé en une époque tout aussi imprécise –disons le XIXe siècle. Son mari, Andoche est bûcheron. Le couple a un enfant, nommé Jehan juste sevré, ce qui permet à Sylvaine de proposer son lait, contre rémunération, en tant que « nourrice à emporter » au bénéfice de Gladie, une enfant de la ville.
« Nourrice de ville », « nourrice à emporter », le roman prend un tour documentaire, décrivant le commerce du lait humain opéré par des courtiers, les meneurs, ci incarnés par La Chicane »., un être abject. Les femmes sont traitées à l’instar du bétail et « choisissent » d’abandonner leur progéniture pour nourrir en son domicile, le rejeton d’une famille aisée ou d’emmener ce dernier auprès des leurs, à condition que leurs propres enfants soient sevrés. La rémunération est moindre dans ce second cas. Et le plus souvent, ce sont les maris qui empochent l’argent.
Femme de cœur et d’amour maternel infinis Sylvaine recueille un nourrisson abandonné, un soir de lune, une « nouvelle-née » – néologisme – – à laquelle elle s’attache d’emblée sans pouvoir décoder – elle est analphabète – les arabesques mystérieuses consignées dans le livret déposé à côté de l’enfant.
Deux âmes se rencontrent Le temps s’étire, disparaît dans un souffle
Et voici que Gladie meurt ; Sylvaine lui substitue, sans réfléchir, l’enfançonne qu’elle vient de recueillir…
Entrecoupé de chapitres révélant, en italique, des extraits du livret de la nouvelle Gladie, de passages de pure poésie, le récit revêt un présent hors du temps qui le rend universel et surtout diantrement percutant. Solidarité féminine, amour maternel et charnel, courage et générosité sont les fils rouges d’un roman hors du commun
Un roman qui fait du bien et dont je vous recommande instamment la lecture
Apolline Elter
Nourrices, Séverine Cressan, roman, Ed Dalva, août 2025, 272 PP- Ed Lizzie, août 2025, texte intégral lu par Cristelle Ledroit et Julia Taraquois, durée d’écoute : 5 h 47 minutes
Billet de ferveur
AE Sévérine Cressan, pour un premier roman, vous avez mis la barre haute tant votre écriture est maîtrisée – Bravo. Et quel souffle narratif. Quelle tension On dirait presque qu’il y avait urgence d’écriture. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce texte :
Séverine Cressan En réalité, l’écriture de ce roman m’a pris beaucoup de temps. J’ai écrit la première scène en septembre 2020 et j’ai envoyé mon manuscrit au printemps 2024. On peut dire que j’ai fait preuve de persévérance ! Mais je ne voulais pas lâcher car c’était essentiel pour moi de mener à bien ce premier projet d’écriture longue.
J’avais besoin d’écrire sur le lien maternel, sur ce qui fait qu’une mère s’attache – ou non – à son enfant. La maternité est une expérience intime bouleversante car elle passe par le corps. C’est par ce biais que je voulais aborder les choses. Quand je me suis documentée sur les nourrices, il m’a paru évident qu’il fallait leur donner vie, chair et voix. Elles ont été totalement oubliées, occultées par l’histoire alors qu’elles ont joué un rôle capital pendant des siècles.
AE : S’il est une ode à l’amour maternel quasiment inconditionnel, le roman dénonce aussi la maltraitance des hommes dont de nombreux considèrent la femme comme un outil quand ce n’est un vulgaire exutoire de leurs pulsions. Le mari de Faustine abuse de sa bonne de façon éhontée. Le #MeToo n’était visiblement pas à l’ordre du jour :
Séverine Cressan :Effectivement ! Les femmes osent depuis peu parler des violences, des abus sexuels dont elles sont victimes. La parole s’est libérée. Ce qui a changé, c’est qu’on puisse le dénoncer ouvertement.
Les personnages de mon roman vivent dans une société où tout le monde est au courant des maltraitances sans que personne n’en parle. Faustine sait que son mari est le père de l’enfant de sa domestique mais elle préfère fermer les yeux, être dans le déni car c’est acceptable socialement, aussi choquant que cela puisse nous paraître. Le personnage de Zaïg, qui tombe enceinte à la suite d’un viol, regrette qu’on fasse porter la culpabilité aux victimes et non aux agresseurs. C’est ce qui enferme les femmes abusées dans la honte et le silence.
AE Heureusement une véritable histoire d’amour parcourt le texte, celle de Sylvaine et Andoche, un vrai honnête homme pour le coup :
Séverine Cressan :Oui, Andoche est un homme droit. C’est aussi un mari aimant, respectueux, qui essaie d’être tendre et attentionné. Il subit également le poids du patriarcat, des rôles assignés aux hommes et aux femmes, sans les remettre en question, ni même en avoir conscience. C’est lui qui décide car il est le chef de famille. Mais il le fait pour le bien de ses siens et non pour son intérêt propre.




































































































































































