Vous parler de mon fils

« Qu’on me comprenne bien: Hugo ne porte aucune responsabilité dans ce qui lui est arrivé, aucune. Simplement, on se dit que parfois les choses basculent à cause de presque rien. Que parfois l’insoutenable se faufile dans un minuscule interstice »

Quand un romancier de l’envergure, de la sensibilité de Philippe Besson s’empare d’un sujet de société – en l’occurrence, le harcèlement scolaire – vous pouvez à coup sûr, savoir que vous ne sortirez pas indemnes de la lecture.

Elle vous fera souffrir, réfléchir, grandir, voire réagir.

Prostré de chagrin, culpabilité, révolte, face à la mort de son fils, Hugo, 14 ans, Vincent, le narrateur s’apprête à rejoindre, aux côtés de son épouse Juliette et de leurs parents, la marche blanche organisée en hommage à l’adolescent disparu, voici tout juste un mois.

Avec une sobriété bouleversante, il retrace , fidèlement, la succession des événements, des incompréhensions et dénis – ceux de l’institution scolaire, ceux des parents des bourreaux – qui ont concouru à cette issue inéluctable.

« Le harcèlement, ça n’arrive pas qu’aux autres, mon vieux. Sinon, pourquoi ils en parleraient autant à la télé »

Enfant timide et délicat, Hugo est pris à parti par Rayan et Mathis, ses condisciples, endurant l’inexorable et croissante progression des brimades, insultes, violences physiques et harcèlement numérique.

La situation lui devient intenable, la délation, risquée, totalement contre-productive.

Son entourage prend trop tard la mesure de l’enfer qu’il vit, qu’il tait, qui le détruit

« Mon Dieu, j’étais si loin quand mon fils avait besoin de moi. »

Ce qui rend le récit encore plus marquant, peut-être, c’est qu’il est porté par le père: Vincent accuse un retard pendable face à la perception sensible de Juliette, à l’impératif de se battre. Le ver de l’incompréhension entre dans le fruit de l’union conjugale

Ce sont pourtant tous deux des parents aimants et attentifs

Comme nous

Comme ces parents des quelque huit cent mille enfants harcelés en France en milieu scolaire, au Collège, majoritairement

Un roman chavirant d’émotion sous sa facture nette, factuelle, chirurgicale

Je vous en recommande instamment la lecture

Apolline Elter

Vous parler de mon fils, Philippe Besson, roman, Ed Julliard, janvier 2025, 200 pp

Billet de ferveur

AE :  le roman a une facture très documentée – on pourrait en réaliser un documentaire – l’avez-vous écrit au départ d’un cas précis ?   Ce « L » à qui vous rendez hommage en exergue du livre ?

Philippe Besson : Des disparitions m’ont profondément marqué, celles de Lucas, de Nicolas, de Lindsay, d’autres encore mais je souhaitais que le roman ne soit pas rattaché à un cas particulier, afin qu’il puisse prétendre à une certaine universalité. Pour qu’il touche, émeuve, percute, il fallait que les lectrices et les lecteurs y reconnaissent une part d’eux-mêmes, pas seulement le souvenir d’un drame.

AE : cette lecture va éveiller la vigilance de nombreux parents, réveiller des souvenirs enfouis pour d’autres – parents / victimes – Avez-vous déjà reçu de nouveaux témoignages, depuis la publication du roman ?

Philippe Besson : Beaucoup. Je suis même surpris par le nombre de ses témoignages. Des adultes viennent me raconter ce qu’ils ont subi dans l’enfance, à l’adolescence, et dont ils n’avaient jamais parlé. Des parents me disent la mortification qui a été la leur quand ils ont appris que leur enfant était insulté, molesté, mis à l’écart, ils disent leur sidération, leur chagrin, leur colère, leur culpabilité, leur impuissance. Je les écoute, tous.

AE : vous établissez un parallèle entre l’enfer vécu par les victimes de harcèlement scolaire et de violence conjugale. Toutes éprouvent d’abord un sentiment de honte à évoquer leur situation. Et c’est ce sentiment que vous voulez dénoncer, éradiquer ?

Philippe Besson : Les victimes de harcèlement comme celles de violence conjugale s’enferment le plus souvent dans le silence, par peur, par honte, parce qu’elles ne savent pas à qui s’adresser. De même, quand elles finissent par témoigner, on remet parfois leur parole en doute, on minimise ce qui leur arrive, ou on regarde ailleurs. Le parallèle est saisissant. Les femmes ont pu commencer à se sortir de ce carcan en libérant leur parole. Mais quels enfants parleront ? Alors peut-être qu’il faut parler pour eux. C’est ce à quoi je m’emploie, à ma modeste place. 

 

 

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