Apprendre à lire

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 Et je serais un meilleur fils si je t’apprenais à lire ?

J’ai posé la question sur le ton de la plaisanterie, cherchant à provoquer chez mon père une suite à cette conversation qu’il avait lui-même dirigée sur le sujet des mots. C’est une conversation à laquelle je ne m’étais absolument pas attendu et que, pour sa part, il trouvait déjà embarrassante.

Embarrassé d’un père vieux, rustre et bourru, bourreau de son enfance, le narrateur saisit, au hasard d’une demande impudique, celle d' »apprendre à lire », la honte existentielle qui torture son père, analphabète. Cette blessure est  assurément la  source de son immense rancoeur.   Berger durant son enfance sarde, le vieillard a été interdit d’instruction.  La perte inopinée de son épouse,  jeune mère du narrateur,  a engendré une fracture a priori irréversible dans la relation du père et du fils.

 Je n’arrive toujours pas à croire que je me sois laissé avoir. Je cherche à quel moment j’ai baissé la garde pour me laisser embarquer dans cette mission grotesque qui, de toute façon, n’aboutira jamais à rien. Mon père veut apprendre à lire et à écrire et ce n’est pas une plaisanterie. J’ai accepté de lui apprendre à lire et à écrire et c’est une catastrophe

 Roman court, dense, sensible, pudique, bouleversant, ..d’apprentissage,  Apprendre à lire est surtout le récit de l’apprivoisement, de l’ouverture, de la découverte- inattendue -de l’autre. Se greffent aux obstacles de la communication père-fils, les thèmes de l’homosexualité masculine, de la prostitution estudiantine,  de l’usure de l’attrait sexuel dans les couples qui durent. Sans oublier-  et c’est un point-phare de la narration – la possible abolition du clivage générationnel qui sépare un homme sombre et acariâtre d’un jeune et fougueux répétiteur, surnommé «  Ron ».

D’une atmosphère en clair-obscur – à la Sorj Chalandon –  teintée de formules fortes, réfléchies, décapantes, ce premier roman révèle une maîtrise de plume évidente.

Une lecture recommandée

Apolline Elter

 Apprendre à lire – Le père, le fils et l’amoureux, Sébastien Ministru, roman, Ed. Grasset, janvier 2018, 160 pp

Prix littéraire: le roman a été doté, ce jeudi 4 octobre, à Monaco,  du Prix de la Bourse de la découverte de la Fondation  Prince Pierre de Monaco. Une consécration méritée. Nous reviendrons sur le sujet dans une prochaine édition