La rafle des notables

   « La rafle des notables, donc, commença dans la nuit du 12 décembre 1941. Sans doute de la même façon que des milliers d’autres en France occupée, des millions d’autres en Europe nazifiée, par un coup de sonnette qui fracassa le silence de la nuit, au no 46 de la cossue rue de Tocqueville, à Paris, dans le XVIIe arrondissement. »

   Après avoir évoqué, avec le brio qu’on lui connaît, la vie de son grand-père maternel, Paul Rosenberg,  dans le récit 21 rue de la Boétie ( Ed. Grasset, 2012) Anne Sinclair porte sa quête et son devoir de mémoire sur la fin de vie de Léonce Schwartz (1878-1942), son grand-père paternel, brusquement arraché aux siens et à sa qualité de Français, le 12 décembre 1941, « entre 5h30 et 7h du matin » .

  Né à Paris, grossiste en dentelle brugeoise, Léonce Schwartz fait partie de ces 743 notables,  parfaitement assimilés à leur patrie française, emmenés cette nuit-là vers le camp de Compiègne – Royallieu, à quelque 70 kms de Paris. Ce  » camp de la mort lente » – par effet de malnutrition délibérée –  est un camp de transit qui déportera  la plupart des prisonniers juifs vers  Auschwitz. Léonce Schwartz doit sa libération extrême à son état de grand malade. Il décède tôt après  à l’hôpital de Val-de-Grâce 

 » J’étais en quête d’une histoire et j’en ai trouvé des centaines d’autres, bien plus tragiques encore. »

  Si elle n’a guère  pu recueillir d’informations précises sur les trois mois d’enfer et de dépérissement  vécus par son grand-père, au camp de Compiègne, Anne Sinclair a nourri son propos de nombreux témoignages de survivants,  de billets lancés depuis les wagons, …. Elle fait de cette quête intime un partage universel, d’autant plus édifiant que sa relation des faits est sobre, précise, intègre et rigoureuse.

   Et d’évoquer de nombreux et poignants élans de générosité, d’humanité dans le chef des prisonniers juifs mais aussi des Russes et Américains détenus dans les autres parties du camp et bénéficiaires d’un régime plus supportable.

   Certaines initiatives culturelles – ahurissantes – permettaient aux notables de conserver une admirable dignité.

 Et de conclure: 

 « Léonce restera donc comme une ombre qui passe dans ce récit. Mais l’effort pour retrouver sa trace durant ces mois de 1941-1942 m’aura permis d’entrer par effraction dans une tragédie déchirante et mal connue, et me donner la volonté d’en transmettre le récit à mes enfants et petits-enfants. Il ne me restait plus qu’à écrire les pages que vous venez de lire pour essayer de donner à mon tour à cette « rafle des notables »,

Un devoir de lecture.

Apolline Elter

La rafle des notables, Anne Sinclair, récit, Ed. Grasset, mars 202, 128 pp

Billet de ferveur 

AE : Ce qui frappe les esprits, c’est le malaise de Vichy à l’égard de cette rafle de personnalités de haut vol parfaitement intégrées à  la population française.  Certains  de ces notables avaient reçu  la Légion d’honneur.

Anne  Sinclair : Oui, malaise, mais guère plus! Vichy a protesté c’est vrai, mais mollement. L’amiral Darlan, fondateur de la Milice, demandait qu’on ménage « les vieux juifs français ». Et au fond qu’on privilégie l’arrestation et la déportation des juifs étrangers! Ce qui était  tout aussi indigne et ce à quoi s’employèrent ensuite les services de Vichy, Bousquet, Leguay, Papon qui collaborèrent étroitement avec la Gestapo, ce qu’ont enfin reconnu les présidents de la République depuis Jacques Chirac. Que  des polémistes revisionnistes ne viennent donc pas dire  que Vichy aurait protégé les juifs français. Sur ce sujet pas plus que sur les autres Vichy ne sera entendu et leur « protestation » sera bien mince. C’était le piège même  de la collaboration. Grâce aussi au « fichier Juif » établi à la préfecture de police a cause du recensement ordonné par les allemands et qui fournit noms et adresses très utiles à cette rafle comme aux autres. Du coup, les nazis deporteront les juifs étrangers comme les juifs  de France qu’ils parviendront à arrêter.

Y compris un homme comme Pierre Masse grand avocat, sénateur, ancien du cabinet de Clémenceau. Y compris le frère de Leon Blum, RenéBlum lui aussi grande figure morale du camp de Compiegne. Y compris le fils de Tristan Bernard, jean jacques Bernard, auteur dramatique. Y compris des avocats, médecins, magistrats, ou simples anonymes anciens combattants de la guerre de 14 ou même de 40, décorés, assimilés depuis des générations dans la population française. 

76.000 ont été deportes. 2000 sont revenus des camps de la mort. Et ceux qui ont pu échapper à la déportation le doivent aux Français courageux qui, par leur initiative individuelle les ont protégés. Pas aux autorités de Vichy. 

 

 

 

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