Le fruit le plus rare

  •  Une orchidée du Mexique apportée par Cortés. Son fruit est le plus rare de la Terre
    • C’est une gousse parfumée. Elle vaut de l’or!

    De l’or aussi que ce roman jailli de la plume – quelle écriture, quelles images, quel souffle – de Gaëlle Bélem, qui trace pour la liesse de nos yeux et papilles l’extraordinaire épopée de la gousse de vanille.

    Si le fruit rare d’une orchidée d’exception était déjà connu des Aztèques, du XVIe siècle et d’Hernán Cortés, il a fallu l’intervention d’un esclave de 12 ans pour en comprendre et exporter le principe de fécondation.

    C’est tout l’enjeu du récit, celui de la vie d’Edmond Albius (circa 1829-1880)

    Né vers 1829 sur l’île de Bourbon (actuelle île de la Réunion) de parents issus du Mozambique, le nourrisson est offert à un colon de Sainte-Suzanne, en consolation d’un frais veuvage : Ferréol Bellier de Beaumont.

    S’attachant contre toute et surtout sa propre attente à son « ti gâté », Ferréol lui inculque peu à peu toutes ses connaissances botaniques

    L’élève dépasse le maître,  qui découvre, au prix d’un acharnement obsessionnel, le secret de la pollinisation manuelle de la fleur de vanille

    Un exploit qui n’est pas facile à admettre dans le chef d’un esclave noir, analphabète de surcroît

    « Ce fruit rare né d’une orchidée tout aussi rare n’est que le juste dédommagement de ses efforts passés. »  songe Ferréol qui adopte, dans un premier temps, une attitude ambigüe face à cette propriété intellectuelle de son protégé

    La seconde étape de l’aventure sera de libérer les arômes de la divine gousse pour lui donner le destin culinaire qu’on lui connaît et son succès auprès des parfumeurs. Le processus est mis en route qui comprend l’ébouillantement, la dessication, l’empaquetage, …

    De la fleur à l’assiette, il faut compter deux ans.

    Affranchi fin 1848, Edmond se dote du patronyme d’Albius sans tirer les bénéfices escomptés de son extraordinaire découverte

    Le roman, vivant, coloré, flamboyant lui rend vie et hommage

    Offre un fabuleux voyage dans le temps et l’ïle de la Réunion

    Pour le plus grand bienfait du lecteur

    Un magistral coup de coeur

    Apolline Elter

    Le fruit le plus rare. La vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem, roman, Ed. Gallimard, août 2023, 252 pp

     Billet de ferveur

    AE :  Les documents relatifs à la vie d’Edmond Albius sont rares. De quelles sources avez-vous disposé pour écrire le récit ?

    Gaëlle Bélem : Les esclaves ont contribué à écrire l’histoire économique et agricole de La Réunion. Mais individuellement, l’esclave est un être si déshumanisé et invisibilisé qu’il n’a pas d’histoire et ne laisse pas ou seulement très peu de trace dans les sources.  L’esclave Edmond fait partie de cette masse anonyme et muette. Il n’y a donc que peu de documents qui parle de lui. Pour rédiger sa biographie romancée, je me suis servie de diverses sources du XIXe siècle, siècle où Edmond. Ce sont des coupures de presse, des lettres privées, des courriers administratifs, des inventaires de biens, des extraits d’état civil et de testament. Un travail de collecte, de lecture, de confrontation des sources écrites fut fait. Après vint une recension des sources iconographiques (tableaux des paysages de Bourbon au XIXe s., de l’annonce de l’abolition de l’esclavage, portrait d’Edmond Albius, etc.). Puis, lectures de livres d’historiens contemporains sur la période esclavagiste, de récits de voyages à Bourbon, de témoignages sur la vie dans les colonies de plantation avant et jusqu’au XIXe siècle. Ensuite, collecte de photos et lecture de livres de botanique pour bien connaître les orchidées. Enfin, des visites dans les vanilleraies de La Réunion. Malgré ce travail considérable, si je ne m’en étais tenue qu’aux sources, je n’aurai pas pu écrire plus de deux pages sur Edmond Albius. C’est à ce moment-là qu’a cessé le travail de l’historienne et commencé l’inventivité de la romancière avec ce matériel documentaire varié mais au demeurant très maigre sur Albius.

    AE : le roman pose très subtilement la frontière – et toute l’ambiguïté – entre le paternalisme des colons et le racisme qu’ils manifestent par un sentiment de supériorité enraciné. Est-ce pour se blanchir qu’Edmond a choisi le patronyme «  Albius » ou est-ce une fantaisie romanesque ?

    Gaëlle Bélem : Albius, plus blanc en latin, est le véritable nom de famille d’Edmond. À vrai dire, ce patronyme est tout aussi étonnant que son prénom d’Edmond. Pensez donc ! Un esclave du XIXe siècle, avoir un prénom et un nom à coloration aussi occidentale ! Ce nom lui a peut-être été donné par son maître, par son entourage noir qui estimait peut-être qu’avec une telle découverte, il était devenu plus blanc que les autres Noirs. L’officier d’état civil chargé d’enregistrer les noms de famille des esclaves après l’abolition de l’esclavage a peut-être trouvé ce nom pour lui. Une chose est sûre, celui qui lui a donné ce nom – C’est peut-être aussi un nom qu’Edmond s’est lui-même choisi – connaissait sa découverte et témoigne par ce nom que la réussite était alors associée à la blanchité. On n’en sait rien. Tout ce que je sais, c’est que fort heureusement, ce temps n’est plus.

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