« Les mots étaient là, couchés sur le papier quadrillé. Je les ai fixés longuement. Et j’ai continué. «Le dragon a entre treize et dix-huit ans. Très souvent, le dragon est une dragonne. Il y en a de toutes sortes et de toutes tailles. Ils ne sont pas terrifiants. En vrai, ils ressemblent aux enfants normaux. Avec deux jambes, deux bras, les oreilles au bon endroit et deux trous dans leur nez. Le dragon est comme tout le monde, mais tout le monde a décidé qu’il était différent. Il croit qu’il est seul au monde parce qu’on ne lui a pas dit qu’il y avait sur Terre d’autres dragons. Alors, il se traîne sur son petit territoire du matin au soir en se demandant comment il va faire pour cesser d’être un dragon … »

Tout est dit

Telle est la substantifique moëlle de ce roman, aux allures de récit, qui nous propose à nous adultes, ados, adulescents, d’intégrer la souffrance d’un adolescent de 15 ans, Jérôme, révolté contre la normalité de ses parents, leur banalité, celle du monde entier

Tout mais pas ça. Ou plutôt rien et pas ça non plus 

Car en fait, Jérôme n’a guère de projet, d’ambition, si ce n’est qu’il veut absolument « rentrer dans une fille ». Z’aurez compris.

Ses frasques le mènent en institution psychiatrique, où il côtoie des « dragons », des ados fracassés par la vie, comme lui, dont certains ont le corps écaillé de multiples coupures, scarifications 

Mais aussi un psychiatre subtil, au col (de chemise) bien repassé 

Et surtout, il rencontre Colette, une « chronifiée » de deux ans son aînée.

La voie de l’amour s’ouvre à lui, celle d’une Education sentimentale toniquement revisitée

De celle qui laisse des traces à vie

Comme ce roman diantrement émouvant.

Ancré d’un regard bienveillant et même confiant

Plaidoyer convaincant contre le repli, l’isolement 

Encré d’amour, assurément 

Une passerelle de compréhension entre générations

Apolline Elter

Les dragons, Jérôme Colin, roman, Ed Allary, août 2023, 180 pp

Billet de ferveur

AE :  un message fort, qui ressort du récit, c’est que l’adolescent ne peut s’en sortir seul, il doit s’ouvrir aux autres, éviter la prison que constitue le repli sur soi. C’est la mission du docteur Koupernic qui tend  la main et une magnifique passerelle entre le monde des ados qu’il soigne et celui des adultes qu’il représente.  Avez-vous côtoyé des docteurs Koupernic ?  Des adultes qui ne trahissent pas les ados qu’ils étaient et ceux qu’ils assistent ?

Jérôme Colin : Oui. J’en ai rencontré un en effet. Pour écrire Les Dragons, j’ai fait une immersion de trois mois dans un centre de soins pour ados. Et j’y ai rencontré cet homme aux chemises bien repassées qui, chaque jour, se rend au centre. Pour aider les jeunes. Pour les faire revenir à la vie. Pour leur dire que demain, l’autre va peut-être surgir. Un homme qui se met à la hauteur des enfants qu’il accueille. Et tente de trouver les bons mots, tente de poser les bons gestes. Il n’est pas seul d’ailleurs. Le livre est aussi un hommage à tous les soignants qui travaillent dans ces centres et s’occupent de ces jeunes avec une infinie précaution. J’ai été très impressionné par eux.

AE :  Votre livre s’adresse-t-il tant aux adultes qu’aux ados ?  Avez-vous des retours de leur part ?  Le « geste » de Colette est expliqué, respecté, ne risque-t-il pas de les inspirer ?

 Jérôme Colin : Je crois que le roman s’adresse aux deux. Aux adultes et aux ados. Une jeune fille que j’ai rencontrée là-bas (et à qui je dédie ce livre), m’a dit un jour : « Tu raconteras hein, que ce n’est pas juste l’adolescence. Que nous souffrons vraiment. Peut-être que cela fera du bien à des parents. Et peut-être que cela fera du bien à des enfants aussi ». Je me suis évidemment posé la question en écrivant ce livre. Car j’ai une responsabilité. Et le livre ne fait qu’hurler qu’il faut attendre. Que demain arrive. Et qu’il est chargé de promesses et d’évènements inattendus.

AE : un puissant adjuvant réside également dans la lecture, avec la citation de Philip Roth en structure du texte, « Des souris et des hommes » de John Steinbeck en ligne de conduite.  Une sorte de plaidoyer en faveur de livres inspirants ?

Jéröme Colin :   Oui. Totalement. Ce fut le cas pour moi. J’étais un enfant isolé. Et j’ai trouvé des amis dans les livres. J’ai rencontré les autres à travers les romans. J’y ai probablement appris l’empathie que l’école avait oublié de m’enseigner. La lecture est au cœur des Dragons. Parce que je crois fermement qu’un adolescent qui lit sera un adulte mieux armé.