Mon père

Mais à quoi sert un père s’il ne peut pas venger son fils ?

Parce qu’un « bon père » a abusé de son fils, Benjamin – il a dix ans- Edouard, le narrateur, pose, abyssale, la question de la paternité.

Celle qui le lie à son fils dont il n’a pas perçu la souffrance, écrasée sous un mur de silence

Cellle, maladroite, de son père, boucher, décédé d’un cancer, qui n’a pas pu s’exprimer en gestes.

Celle, biblique, emblématique,  d’Abraham, prêt à sacrifier son fils,   Isaac, sur l’autel de l’obéissance aveugle à Dieu.

Alors Edouard va exiger des comptes, affronter le père, l’Eglise, la société,  son père…son fils.

« Je contemple le chœur vandalisé, les chaises démantibulées, cette impétuosité de moi, que je ne connaissais pas, ce langage qui a intégré la violence et a franchi les limites de ma civilité. »

Ce  sont trois jours – un week-end- d’une violence inouïe, qui passent au crible de la souffrance d’Edouard, les relations de paternité manquées, les moments forts du « temps d’avant » , le désarroi des prêtres face à l’appel de la chair, le silence coupable de l’Eglise,  l’essence du pardon, sa légitimité..

Un week-end d’allure pascale, si l’on songe que lui aussi sacrifié par son père,  mort sur la croix, un vendredi,  le Christ ressuscite . le dimanche.

Un roman fort. Un roman qui dérange, bouscule et frappe.

Vous l’aurez compris.

Un roman qui crie à pleins poumons l’amour paternel et les souffrances engendrées.

Apolline Elter

Mon père, Grégoire Delacourt,roman, Ed. JC Lattès, février 2019, 256 pp

Billet de faveur

AE : Avec Edouard, le narrateur, c’est « l’écrivain de la famille »qui nous revient. Celui dont les strates, les couches de protection se libèrent au fil des romans – de votre oeuvre. Avez-vous l’impression d’un « crescendo » dans l’expression de révoltes intimes , de vous dévoiler davantage au fll des publications ?

Grégoire Delacourt :Vous êtes la première à remarquer que le narrateur de Mon Père porte le même prénom que celui de L’Écrivain de la famille, et de lier les deux. Vous avez raison. Les deux représentent une période
de révolte chez moi. Dans l’enfance pour l’un, dans l’âge adulte pour l’autre. Alors oui, sans doute qu’il existe un crescendo dans mon travail. Chaque livre me permet le suivant, me permet de prendre plus de risques, d’affronter des sujets plus pointus, d’oser une écriture plus tranchée. Michaux disait qu’ « écrire c’est se parcourir » et je suis assez d’accord avec lui. Même si l’on se cache derrière des personnages, qu’on met une jolie robe et des talons
comme je l’ai déjà fait, on creuse en soi pour trouver ce qui nous relie au monde.

AE : vos remerciements s’adressent notamment à deux évêques. Quel rôle ont-ils joué dans construction du roman, la réflexion essentielle sur le sens, l’essence du pardon ?

Grégoire Delacourt : D’abord je tiens à les remercier à nouveau tous les deux d’avoir accepté de me recevoir. La raison de ma rencontre était délicate et ils m’ont fait confiance. Ils savaient que je voulais travailler sur une colère. Une indignation. Ils m’ont parlé avec beaucoup d’humanité de ce fléau qui s’empare de quelques uns et noircit l’ensemble des membres de l’église. Leur chagrin à constater cette part violente d’homme en certains était sincère,
tout comme l’est la douleur qu’ils ressentent à l’idée que ces enfants sont cassés à jamais. Ils savent que tout cela doit changer. Et au-delà de leurs prières, je sais qu’ils y travaillent. J’espère, sincèrement, que François tapera une bonne fois sur la table. Qu’on excommonuniera tous les coupables. Qu’on les remettra à la justice des hommes. Et qu’on s’occupera enfin de réparer ces enfants avant autant de zèle qu’on les a jusqu’ici emmurés dans le
silence.

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