Ma dévotion

« . Je vais tout te raconter, ici et maintenant, debout dans la rue, je vais te raconter toute notre histoire depuis le début, parce qu’il faut que je l’entende, moi aussi. Je ne me lasse pas de te regarder, Frank perdu et retrouvé. Laisse-moi commencer. »

 Vingt-trois ans après une séparation dont le tragique ne sera révélé qu’en fin de récit, Helen croise Frank, au hasard de l’Adelaïde Road, à Londres.

Elle lui adresse alors une sorte de longue lettre, monologue sans droit de réponse, expression bien tardive  d’un amour de pure…dévotion.

Pygmalion d’un peintre en devenir, plus « diplomate  » que réel artiste, Helen sera l’instrument de sa notoriété, de sa  puissante cote sur le marché.

Elle subit ses maîtresses,se marie, par dépit  et le rejoint quelque trente ans plus tard, en Normandie, où Frank élève son fils Ludwig, âgé de quatre ans.

Porté par un souffle d’écriture,  une précision du phrasé , de la relation d’intimité qui est sa signature, Julia Kerninon publie un troisième roman magistral.

Les chapitres s’alternent,  courts – parfois réduits à une assertion – qui confèrent au récit un rythme vif,  captivant, un caractère dramatique,  fascinant.

Un opus marquant de la rentrée littéraire

Apolline Elter

Ma dévotion, Julia Kerninon, roman, Ed. la brune du Rouergue,  août 2018, 300 pp

Billet de faveur

AE :   Frank Appledore fait figure de parfait opportuniste, utilisant la dévotion d’Helen comme passerelle pour sa carrière.  Paradoxalement, c’est peut-être le sacrifice existentiel d’Helen, son côté possessif qui s’avèrent  les plus révoltants…   La logique d’une dévotion est destructrice quand elle est poussée à l’excès…

Julia Kerninon : Pour moi, d’une certaine façon, le livre parle des rapports hommes-femmes. Ici, ils sont mis en scène, romancés, poussés à l’extrême afin de faire ressortir les plus petits détails : qu’est-ce qu’une relation homme-femme qui n’est pas une liaison amoureuse ? Comment s’aimer bien l’un l’autre ? Est-ce possible de s’aimer à égalité ? La dévotion d’Helen pour Frank, sa façon de le libérer des détails pénibles du quotidien, sa façon de lui donner tout sans qu’il l’ait demandé, aussi, est-ce que ce n’est pas une dévotion qu’on retrouve chez beaucoup de femmes ? Et l’égoïsme de Frank, son manque d’attention aux détails, justement – est-ce que tout ça ne fonctionne pas ensemble ? Est-ce que les femmes n’ont pas tendance à se dévouer pour des hommes qui n’ont pas de raison de ne pas en profiter ? Evidemment, je ne veux pas faire de généralité. Mais c’est en partie de cet agencement que parle le livre – plus largement, il parle de l’évolution d’une relation intense pendant un demi-siècle, et de comment les plaques tectoniques de l’amitié ont tendance à se déplacer au fil des événements, les rapports de force à s’inverser. Frank n’est pas une mauvaise personne, et Helen n’est pas une sainte – ils ont simplement fait, ensemble, avec ce qu’ils portaient en eux. Et oui, bien sûr que la dévotion est dangereuse quand elle est poussée trop loin – la dévotion d’Helen est une forme de préhension. En donnant tout à Frank, elle veut le posséder pour elle seule. Elle pense qu’elle seule l’a payé assez cher.

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