La Fantaisie

« Le passé est un manuscrit auquel on ne peut plus rien changer » affirme Mona Frame, héroïne de cette « Fantaisie«,  programmeuse informatique engluée dans le marasme d’une dépression, la solitude d’une rupture professionnelle, conjugale, maternelle et tant qu’on y est, sociale.

La totale.

Alors, quand la jeune femme découvre, enfoui sous la marche « réfractaire » d’un escalier – celui du studio de banlieue dont elle entame la location  – un curieux manuscrit intitulé «  Jonas is born, alleluia »,  elle ne peut résister à la curiosité d’en entamer la lecture et de la partager avec nous. Le texte est .. fantaisiste, grandiloquent incongru…. Mona ne résiste à la tentation d’en rechercher l’auteur, un certain Philippe Sandre-Lévy et de le rencontrer aux fins de lui restituer son texte de jeunesse.

Sauf que.

Coincé dans les rails d’une vie austère, le quadragénaire semble dépourvu de toute .. fantaisie; sa rigidité offre un contraste saisissant avec l’espièglerie du récit enchâssé

Une bafouille de jeunesse dont il veut à tout prix, toute pudeur, se dessaisir.

Trop tard, le lecteur est saisi, lui, aux rêts de cette bévue addictive : ce serait un comble que Mona la lui restituât:

 » Il se prend pour qui? (…)  « Je vais vous dire, moi, ce qui vous met sens dessus dessous. Ce n’est pas uniquement que vous ayez enterré le jeune homme qui a écrit l’histoire de Jonas, non, ce qui vous met sens dessus dessous, c’est que je l’ai retrouvé. Et non seulement je l’ai retrouvé, mais il respire encore. Et ça vous emmerde parce que vous étiez bien confortable dans votre austérité vertueuse et découragée. Vous ne savez pas quoi en faire, de ma trouvaille! Vous n’avez plus aucun recul sur rien. Vous vous vautrez dans le premier degré et vous vous roulez dedans. Philippe Sandre-Lévy Junior, il s’amusait au moins avec sa détresse, avec l’absurdité de notre monde. Vous auriez aimé que je scelle à nouveau la marche coupable et que je laisse votre fantaisie agoniser une bonne fois pour toutes, mais non! » »

Et le lecteur de respirer à son tour, qui peut poursuivre le cours de cette Fantaisie en Ré majeur

Apolline Elter

La Fantaisie, Murielle Magellan, roman, Ed. Mialet-Barrault, janvier2024, 268 pp

Billet de faveur

AE : Le récit de Jonas est en lui-même un exercice de style. On n’y reconnaît pas votre plume et à la fois, on se dit que ce dut être jubilatoire pour vous de vous lâcher ainsi dans cette fiction enchâssée dans la narration principale. Un exercice récréatif ? Re-créatif ?

Murielle Magellan : Ah oui ! Tout le sel était là. Parvenir à trouver « un autre style ». J’aime beaucoup votre jeu de mot. Je dirai à la fois récréatif, re-créatif mais aussi exigeant. Car il s’agissait pour moi d’un pas de côté – comme le font mes personnages – et d’une prise de risque. Je me suis souvenue de mes lectures de jeunesse, celles qui parvenaient à la fois à me bouger et à me faire rire. « La conjuration des imbéciles » de Kennedy Toole, les John Irving des débuts, Philipp Roth, et même Boris Vian. Il s’agissait aussi de trouver dans la langue l’énergie, l’audace, la démesure, d’une plume jeune … ce que je ne suis plus tout à fait !

AE « N’écrit-on pas toujours le livre que l’on aurait adoré lire adolescent ? »

Est-ce cela « La Fantaisie » ?  Et en même temps une passerelle pour que ressuscite en l’adulte la légèreté vitale de l’enfance ?

Murielle Magellan : Oui, je crois que ce roman plus que les autres s’adresse à l’adolescent en nous. (plus que l’enfant). C’est-à-dire cet être souvent révolté, en conscience nouvelle de la réalité, en lutte contre elle et qui pourtant, dans le même temps, peut rire comme une clé à molette d’une blague potache, danser jusqu’à 5 heures du mat, aimer passionnément puis plus. Apprendre par cœur un chapitre entier d’un livre aimé. Cet être là me manque parfois, et c’est pour lui – elle en l’occurrence me concernant – que j’écris souvent.

 

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