L’île du docteur Faust.

– Ça ne pourra pas marcher, a répété Hélène. Faust en femme, une île avec des sexagénaires en cure de rajeunissement, c’est grotesque »

Et bien non, pas vraiment et c’est même le sujet d’un roman très intéressant.

Une sorte de conte, frappé de réalisme, de réflexion et d’une bonne dose de fantastique.

Je vous explique.

Débarquée avec huit autres femmes d’âge mûr sur l’île bretonne  – et imaginaire –  de Tirnamban, la journaliste et écrivain Sidney s’offre  une demi-année sabbatique  en marge de sa rédaction, doublée d’une mission de pure observation.

Elle ne souscrit pas au contrat  – diabolique ? – conclu entre le docteur Johanna Faust – une femme, sexagénaire  – et les participantes à ce séjour immersif de six mois : retrouver le plein allant de leur vingt ans et l’apparence physique corollaire.

Etrange n’est-il pas?  Vaguement inquiétant, également…

D’autant que Sidney se trouve une forme de connivence – aspiration ou rêve fracassé –  avec chacune des protagonistes dont le destin est passé à la loupe de la narration.

Revisitant avec brio et un prisme féminin nouveau le célèbre mythe du docteur Faust, Stéphanie Janicot nous offre une réflexion pénétrante sur l’entrée dans l’âge mûr et une libération possible des diktats du jeunisme

Une lecture recommandée

Apolline Elter

 L’île du docteur Faust, Stéphanie Janicot, roman, Ed. Albin Michel, août 2021, 304 pp

Billet de ferveur

AE : Parmi les personnages singuliers, voire inquiétants, qui peuplent i’île bretonne, il est une très vieille femme Zoyad , tout à fait réfractaire aux artifices de rajeunissement. Elle offre une image rassurante.  C’est la plus libre des résidents de l’île finalement ?

Stéphanie Janicot : Avec Zoyad, toute ridée, édentée, qui rit et fume toute la journée en proférant des sentences un peu absurdes, je souhaitais créer un personnage antagoniste à toutes ces femmes en mal de rajeunissement. En faisant vivre Zoyad, j’ai moi-même découvert sa légèreté, et sa profondeur, sa sagesse et le chemin qu’elle me montre pour l’avenir. Elle ouvre une voie vers le bonheur qu’il peut y avoir à devenir très âgée. Il existe deux mots pour dire le désir de jeunesse : l’un positif, le jeunisme, et l’autre négatif, l’âgisme (le refus de prendre de l’âge et la discrimination des personnes âgées). Il n’existe aucun mot pour dire l’envie de vieillir, dire le plaisir à devenir léger, à prendre la vie comme un bonus, lorsque toutes les responsabilités sont derrière soi (la vie professionnelle, l’éducation des enfants…), dire cette liberté extrême que vous évoquez dans votre question lorsque nous n’avons plus rien à prouver, alors j’ai dû créer le mien : le zoyadisme, décrit dans ce roman, dit cette envie-là. Or nommer les choses est la première étape pour les rendre possibles. J’aimerais devenir Zoyadiste !

AE : » Tirnamban » signifie » l’Ile des femmes », en celtique.  Pourquoi ce confinement féminin ? Pensez-vous que le diktat du jeunisme frappe davantage les femmes que les hommes ?

Stéphanie Janicot : Plus que les hommes, les femmes sont incitées à rester jeunes et désirables. Les tempes grisonnantes, c’est sexy chez un homme, négligé chez une femme. Les rides d’expression disent l’expérience de l’homme (cliché du visage buriné toujours très utilisé dans les livres comme au cinéma) et la ménopause de la femme qui la fait basculer dans le clan de celles qui, ne pouvant plus servir à la reproduction, ne présente plus d’intérêt pour l’homme. Etc. L’injonction de jeunesse physique est une pression permanente pour la femme, liée à l’horloge biologique. Dans la société actuelle, qui voit monter la protestation féminine, une certaine prise de pouvoir des femmes, je trouve intéressant de considérer le mythe de Faust du point de vue féminin. Faust est le pacte qui lie la jeunesse au savoir et donc au pouvoir. La femme occidentale du XXIème siècle est au coeur de ce questionnement. 

 

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