» Les matins blancs se suivent et se ressemblent. Pas de message de toi, mais des signes surgis de je ne sais quel outre-tombe. Je reste des heures sur Facebook à me nourrir des messages postés par tes amis dans le groupe créé par Florence juste après ta mort, « Bye Alex ».
Dévastée par le suicide, à Montréal, le 14 octobre 2015, d’Alexandre de Lamberterie, son frère cadet, complice, fantaisiste, solaire, sensible, aimé, entouré, … la journaliste – grande pointure de la critique littéraire auprès d’Elle et Télé-Matin – lui adresse une longue lettre, témoignage de vie, pour qu’il ne sombre dans l’oubli. Pour qu’il ne soit pas trahi.
Partant, elle doit faire fi d’un diktat familial larvé qui » nous a fabriqués taiseux » et engendré » cette incapacité à exprimer des sentiments intimes ».
L’urgence est là, qui révèle une propension familiale à la mélancolie, sorte de gène du suicide à propagation masculine
« Dans la famille, on se suicide Comme chez les Hemingway. C’est chic, c’est atroce. Il faut que je demande à mon père de me raconter tous ces gars qui ont sauté le pas. Maintenant, à qui le tour ? J’ai trois fils, j’aimerais bien savoir. »
Alors elle se lance et couche sur papier, souvenirs, questions, pensées, mails échangés, emportée ce faisant, hors des chemins tracés.
Et c’est dans cette sincérité absolue que réside sans doute la qualité majeure de de récit de toute haute facture: en partageant, sans fard, cette douleur abyssale et les moyens empiriques de l’affronter, l’auteur s’adresse, au-delà de son frère à tous les êtres confrontés au suicide d’un proche, au sentiment de culpabilité inéluctable qui les transperce, aux lecteurs qui veulent s’affranchir de jugements à l’emporte-pièce.
La lecture en est bouleversante; elle est aussi bienfaisante. Le compte rendu est malaisé,, confondu d’empathie;
Imprégnons-nous de son écrit:
« j’écris pour chérir mon frère mort. j’écris pour imprimer sur une page blanche son sourire lumineux et son dernier cri. Pour dire ce crime dont il est à la fois la victime et le coupable. A moins que nous ne soyons tous coupables, nous qui n’avons pas su l’empêcher, ou tous victimes, nous qui ne vivrons plus qu’à demi. Mais je ne crois pas qu’on empêche les gars de son espèce désespérée de se suicider. Est-ce un service à leur rendre? C’est une vraie putain de question. »
Avec toutes mes sympathies, Olivia de Lamberterie, récit, Ed. Stock, août 2018, 254 pp
Apolline Elter
Billet de ferveur
AE Une formule dense, percutante, semble fixer la mission que vous vous assignez
« Si pour toi, c’est mieux, j’accepte de vivre décapitée. »
Ce n’est pas résignation, c’est générosité :
Olivia de Lamberterie :Vous avez raison, ce n’est vraiment pas de la résignation, après, de la générosité je ne sais pas, disons que je respecte profondément la décision de mon frère. Je respecte sa liberté d’en finir même si je ne la comprends pas et même si je pleure sa disparition.
Alors, plutôt que de chercher des raisons qui, de toute façon, m’échapperont toujours, j’ai décidé de chercher des traces de mon frère disparu, partout, dans mes jours dans mes nuits, dans le ciel, dans la vie! Au début, je me suis dit que je devenais zinzin, mais aujourd’hui je me dis que je suis peut être devenue plus philosophe: il est impossible que la réalité se réduise au visible…..