Toucher la terre ferme

« Je pensais que je disais adieu à la personne que j’avais été, et je me forçais à trouver en moi le courage d’abandonner cette peau douce, vaisseau qui m’avait tant fait voyager, pour une autre dont la valeur ne me serait révélée que lorsqu’il serait déjà trop tard pour reculer. »

La maternité implique-t-elle le renoncement à notre identité précédente: enfant, jeune fille, femme amoureuse, amie, écrivain…….

Tel est l’enjeu de ce témoignage magistral, récit poignant, prégnant, qui sonde avec une acuité inouïe les états d’âme d’une jeune maman.

En rupture assumée avec les images d’Epinal associées au bonheur de l’enfantement – merci Julia Kerninon – l’écrivain trentenaire décrit la détresse qui fut la sienne, en proie à ces sentiments forts, solitaires, contraires, complexes qui saisissent – mais oui –  l’entrée dans le statut socialement convoité de mère.

Ne nous y trompons pas:  le bouleversement décrit est aussi et surtout  le berceau subtil, pudique et diantrement émouvant de déclarations d’amour et de confiance, à ses deux garçons, à leur père ….

 » C’est cette vie qui est un voyage, cette conversation commencée il y a huit ans qui est notre grande aventure, notre vie est raisonnable, mais elle est aussi très vaste, elle nous dégage un espace où tout est possible, où nous nous sentons libres, nous passons un temps considérable tous les deux, nous l’avons toujours fait, et une fois par semaine, sans concertation, nous passons une soirée à nous parler du plaisir que nous avons à vivre ensemble, de la chance que nous avons eue de nous rencontrer, du bonheur que l’autre nous donne tous les jours, des enfants heureux que nous avons eu l’honneur d’enfanter. « 

Ce faisant, cette introspection opérant, paradoxes déployant, Julia Kerninon déroule le fil de trente-quatre années de vie, celui de son tempérament, de ses aspirations, de ses ambitions.

Et si la réponse à ces états de grande âme était finalement limpide ?

« On devient simplement plus intensément soi-même. »

Un témoignage que je vous engage à lire, de toute instance.

Toucher la terre ferme, Julia Kerninon, récit, Ed. de l’Iconoclaste, janvier 2022, 128 pp

Billet de faveur

« Mes livres ne sont pas là pour attester ma bonne conduite. Mon écriture est là pour témoigner de ce que j’ai vu, de ce que je sais. Évidemment que je me trahis dans mes livres, mais il n’est pas censé en être autrement. »

 AE : Ce témoignage procède d’une urgence, il est aussi une missive écrite aux trois hommes de votre vie. Le voyez-vous ainsi ?   En aviez-vous conscience lors de sa rédaction ?

Julia Kerninon :Mon mari plaisantait sur le fait de ne pas apparaître dans mes livres qui puisent généralement à des émotions plus anciennes, alors j’ai commencé à essayer d’écrire sur lui, peut-être aussi pour célébrer notre mariage récent. Cela a été une autre paire de manches d’écrire sur les enfants, parce qu’ils ont droit à une vie privée et que je ne voulais pas faire imprimer des choses qui puissent leur peser plus tard. J’ai essayé de poser quelque chose, de fixer un instantané de ma vie, de notre vie en ce moment. 

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