Elsa Schiaparelli. L’extravagante

Puisqu’elle ne changera pas ce physique qu’elle trouve ingrat, elle brillera par son talent, sa singularité et même ses extravagances. »

C’est donc une démarche compensatoire, la lutte contre un sentiment de laideur engrangé dans le regard de sa mère, aristocrate romaine, qui va pousser Elsa Schiaparelli (1890-1973), la célèbre créatrice de mode, sur les chemins de la gloire.

« Italienne d’origine, Française de cœur, Elsa aura conquis Paris, une paire de ciseaux à la main. »

Du palais Corsini familial (à Rome) aux Place Vendôme et hôtel particulier de la rue de Berri (VIIIe arr.), Elisabeth de Feydeau nous trace le chemin d’une vie tout entière consacrée au langage vestimentaire et à une traduction – anticipatrice et audacieuse – de l’air du temps.

Le beau côtoie la maille, la tirette éclair, le bien-être, le pratique – Elsa lance le « sportswear »  – le fantaisiste, l’extravagant et le choquant.

Elle trouve place et clientèle de choix au sein de la Café Society. L‘élite new yorkaise, londonienne, parisienne s’arrache ses créations.

 Collaboratrice, complice de Paul Poiret, le célèbre couturier, elle le devient aussi de Jean-Michel Frank, son décorateur attitré, de Salvador Dali, Elsa Triolet, Christian Bérard et Jean Cocteau, par ailleurs ami, de sa meilleure ennemie,… Coco Chanel.

« L’élégance, pour elle, c’est avant tout pressentir l’harmonie résultant d’associations parfois improbables. »

Une harmonie qui vise, évidemment, les accessoires – une « folie des chapeaux »  et les fragrances et invite Elsa à lancer  en 1928,   » S » son premier parfum.

Il sera suivi de nombreux autres dont le fameux Schocking, en 1937,- dont les « effluves ensorcellent ou rebutent » assorti d’une couleur rose bientôt emblématique.

« Schiaparelli continuera par la suite à développer les correspondances très baudelairiennes entre les odeurs et les couleurs. Après le « rose shocking », elle reprendra l’idée pour le « bleu Sleeping » et le « vert Zut » ».  

Dotée de nombreuses anecdotes, inscrite de façon précise dans la chronologie, l’atmosphère et le contexte des années folles, celles de la guerre et d’un dur redressement économique, la biographie est bienveillante, intègre, magistrale, passionnante.

Une lecture qui tombe à point pour nourrir la visite de l’exposition Schocking! au Musée des Arts décoratifs ( Paris Ier arr. Jusqu’au 22 janvier 2023) . Et qui suscite l’envie irrépressible de s’y rendre.

Apolline Elter

Elsa Schiaparelli. L’extravagante, Elisabeth de Feydeau, biographie, Ed. Flammarion, septembre 2022, 352 pp

Billet de ferveur

AE : Vous êtes historienne, spécialiste du parfum (et NDLR auteure notamment du Dictionnaire amoureux du parfum, Ed. Plon, mars 2021) . Est-ce par le biais de ce dernier que vous vous êtes intéressée à la vie d’Elsa Schiaparelli ?

Elisabeth de Feydeau :Pas exactement car ayant commencé ma vie professionnelle chez Chanel – au Conservatoire de la Maison-  j’avais croisé le destin d’Elsa Schiaparelli qui fut la grande et unique rivale de Gabrielle Chanel. J’étais tombée en admiration autant pour sa personnalité que pour son œuvre mais aussi sa vie, son courage et son extravagance m’ont touchée tout particulièrement.

Et puis bien-sûr, son avant-gardisme et sa créativité en parfumerie sont fascinants. C’est pour cela que je les mentionne dans mon Dictionnaire Amoureux du Parfum. Non seulement en couture mais en parfums, son héritage est immense et elle a tellement inspiré d’autres créateurs. Rappelez vous le flacon buste de Shocking et vous voyez celui de Classique de Jean-Paul Gaultier !

AE : Dans la mouvance de Jean Cocteau, Christian Bérard, et toute cette joyeuse compagnie, il y aussi Louise de Vilmorin, femme de lettres et .. de parfum aussi. Elle fut intime de Jeanne Lanvin. Savez-vous si les deux femmes se sont rencontrées ?  Leur fantaisie commune aurait pu les rapprocher…Et bien d’autres points encore.

Elisabeth de Feydeau :C’est tout à fait probable et même possible car c’était un microcosme mais je n’ai pas retrouvé traces d’une relation amicale particulière. Schiap admirait beaucoup Jeanne Lanvin, intime en effet de Louise de Vilmorin qui écrivit en 1949 des calligrammes pour les parfums Lanvin.  Elsa et Louise ont bien des points communs, ceux de créatrices aristocrates et érudites. La fantaisie et ce brin d’extravagance en plus aussi. Elles ont certainement dû se croiser dans les réceptions mondaines de l’époque.

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