Les vies rêvées de la baronne d’Oettingen

Figure connue de la Belle Epoque, de l’avant-garde artistique, amie d’Apollinaire, de Modigliani, la riche et belle baronne d’Oettingen, née Elena Miontchinska et pourvue de multiples identités, tombe dans l’oubli au sortir de la Grande Guerre et de la révolution russe qui gèle tous ses avoirs.

Elle avait côtoyé Dimitri Snégaroff, imprimeur et grand-père de l’auteur, lui léguant un autoportrait et trois portraits de lui. Car Hélène était peintre, sous le nom de François Angiboult. Elle fut également écrivain, sous le pseudonyme de Roch Grey, poète, sous celui de Léonard Pieu.

D’un très court mariage avec le baron Otto von Oettingen, elle garde les titre, nom et l’émancipation de la tutelle maternelle. Elle gagne l’Europe occidentale en compagnie d’un « lointain cousin moscovite », Sergueï Jastrebzoff , comte Yastrebzov, promu au rang de frère et au pseudonyme commode et français de Serge Férat. Et tant qu’à frère, Elena se francise en parisienne Hélène d’Oettingen  et partage avec lui le pseudonyme de Jean Cérusse (entendez,  Ces Russes et esclaffez-vous)

Le duo est riche, attachant, attaché – à vie- artiste et libre de dessiner son destin.

« Elle sera artiste. Elle l’a décidé comme elle a décidé qu’elle· était née à Venise. Hélène est ainsi, et elle se moquerait de ses rares biographes qui bien après sa mort se demanderont si elle est née à Kiev, à Varsovie ou Dieu sait où. Elle ne cherche pas à brouiller les piste. de ses origines. Elle est tout simplement libre d’être née où elle le souhaite. De porter aussi le nom qu’elle désire, Le titre de noblesse qui lui sied. Les tenues extravagantes qu’elle aime. De séduire les amants dont elle a envie

Alors, artiste, Hélène le sera aussi. »

Et c’est cet amour conjoint, viscéral de l’art et de la liberté qui lui dictera les ruptures d’avec ses amants, en ce compris Léopold Survage, jeune accordeur de piano, dont elle est sincèrement éprise:

« Je quitte les hommes avant de les rendre misérablement dépendants, pleurnichards et asséchés.»

De Montparnasse à la Côte d’Azur et d’exil durant la Grande Guerre, Serge et Hélène distillent une partie de leur grande fortune au service des artistes de l’avant-garde de l’avant-guerre, Apollinaire, Modigliani et tant d’autres. Leur salon du 229 boulevard Raspail tient porte ouverte à toute cette mouvance artistique

Hélène rachète la revue Les Soirées de Paris fondée en 1912 par Guillaume Apollinaire et en confie l’impression à l’imprimerie de l’Union et un certain Dimitri Snégaroff jusqu’à l’entrée en Grande Guerre

Le gel des avoirs cérussiens suite à la révolution russe de 1917 et l’abdication du tsar aura peu à peu raison d’un train de vie insoutenable. Provoquera l’entrée dans une lente inéluctable austérité et ‘l’oubli corollaire.

Thomas Snégaroff vient de l’en extraire

Nous lui en savons grand gré

Apolline Elter

Les vies rêvées de la baronne d’Oettingen, Thomas Snéganoff, roman, Ed. Albin Michel, janvier 2024, 256 pp

Billet de faveur

AE : Le portrait de couverture est tracé de la main de Modigliani et la cerne sans masque, au plus près de sa psychologie nous révélez-vous ; qu’en est-il de l’autoportrait retrouvé dans le tiroir du bureau de votre grand-père ? Que révèle-t-il de son auteur ?

Thomas Snégaroff : Il révèle une femme aux traits à peine esquissés, comme dessinée dans un mouvement. Les yeux sont noirs, presque inquiétants. La bouche laisse apparaître les dents, presque menaçante. C’est un autoportrait atypique, personnel, d’une femme qui signe d’un nom d’homme. Regardez-moi, semble-t-elle dire à celui qui le tient entre ses mains.

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