Le salon

« J’aime toucher les livres, pas forcément les lire, mais les toucher, oui. »

Véritable coup de cœur de rentrée pour ce roman court, percutant, subtil et drôle à la fois

Surtout subtil.

De quoi s’agit-il?

De La Tentation de saint Antoine, poème en prose de Gustave Flaubert (1821-1880)

Tentant?

Pas vraiment.

C’est sans doute pour cela qu’une librairie le brade au prix d’un euro, enfoui sous les ouvrages d’une caisse de livres plantée sur sa devanture.

Choqué que  » Le plus grand écrivain français [fasse] le trottoir », le narrateur acquiert le recueil, se donne une contenance de lecteur tandis qu’il patiente dans le salon de coiffure voisin.

Rien n’est gagné.

« Aujourd’hui, je vis reclus, six jours sur sept. C’est plus simple. Je m’avale des séries. Si je n’avais pas dérapé avec ma tondeuse, à cette heure-ci, je serais en train d’en regarder une. Au lieu de ça, je suis coincé dans un salon de coiffure hors de prix, à essayer de comprendre les premières lignes d’un livre à un euro que personne n’a lu. Toutes les autres clientes s’impatientent devant un magazine féminin. Les regards se dérobent, mais je sens que ce livre me donne de l’épaisseur. Alors je décide de m’accrocher aux pages et de tenir bon jusqu’à l’entrée en scène du coiffeur magicien. »

Et c’est précisément là que la magie opère.  Sorte de dilettante- looser, fils à Papa (presque) quadragénaire, aux finances réduites à un simple argent de poche, notre héros va se forcer de passion pour cette « œuvre imbitable ».  Pour régler la somme astronomique- 540 € tout de même – des prestations capillaires de Jenny, Kevin et de l’extraordinaire Fabrice, le flaubertien fauché propose de créer un salon littéraire au sein du salon de coiffure.

Sauf qu’il n’y connaît rien et qu’il lui faudra toute l’expertise, la science la bienveillance de Florimond, le libraire revêche pour répondre aux attentes conjointes de Gustave – entendez Flaubert – et Fabrice.

Dénuée de toute orthodoxie et bien pensance prescrite à l’égard de l’écriture flaubertienne, le récit surprend et ..décoiffe.

Son génie: éveiller l’envie, la curiosité de lire en sortant des chemins battus de l’académisme convenu

Le vocabulaire est choisi, le rythme, allègre, envolé et les stéréotypes, évités.

Une découverte recommandée

Apolline Elter

Le salon, Oscar Lalo, roman, Editions Plon, août 2022, 160 pp

Billet de ferveur

AE : Si Madame Bovary, est Flaubert,  Florimond, le libraire, c’est (un peu)  vous.   Ce métier de passeur est au cœur ardent de votre roman :

Oscar Lalo : J’ai enseigné le droit. Aujourd’hui, j’enseigne la méditation. Rien n’est, en effet, plus précieux que d’être le témoin privilégié de cet instant fugitif où la lumière s’incruste dans l’œil de celui ou de celle à laquelle vous transmettez votre maigre savoir. En tant qu’écrivain, c’est plus délicat car cette transmission est décalée dans le temps et dans l’espace. On apprend parfois, comme en lisant votre chronique, qu’on a été compris, que cette magie a une fois de plus opéré, et qu’on a peut-être accru le désir de lire. Ce qui est plus délicat avec notre libraire bougon au grand cœur, c’est qu’il transmet l’essence de ce qu’est la littérature de façon non académique.

AE :  La correspondance de Flaubert est une œuvre à part entière. Reflète-t-elle sa vraie écriture ? Et ce, en comparaison de l’écrit laborieux, sans cesse retravaillé, que constitue La Tentation de saint Antoine ?

Oscar Lalo : il y a des spécialistes de Flaubert, ce que je ne suis pas. Je suis un auteur qui s’approprie corporellement les œuvres qu’il lit. Je m’implique corps et âme ; la tête vient en dernier et seulement si c’est nécessaire. Je pense que Flaubert, à force de travailler la matière jour et nuit, a fini par posséder plusieurs écritures. Sa volumineuse correspondance en est une, La Tentation une autre et, bien sûr, Madame Bovary celle à laquelle on l’apparente. Vous avez raison quand vous écrivez que sa correspondance est une œuvre à part entière ; on parle ici de cinq volumes de la pléiade (plus un volume pour l’index) d’une moyenne de mille cinq cent pages chacun ! C’est colossal. Mais il n’aimerait pas qu’on pût suggérer qu’il s’agisse là de sa vraie écriture. Et pourtant : quel délice ! Il ne l’estimait pourtant pas et demanda qu’on la brûlât.  En revanche, et vous faites bien de le souligner, pour La Tentation comme pour sa Bovary, Flaubert n’a eu de cesse de remettre son ouvrage sur le métier.  À mon petit niveau, j’ai travaillé l’épure avec Les Contes défaits, j’ai tenté de ciseler davantage ce style particulier avec La Race des orphelins, et puis, avec un courage (ou une inconscience) que je ne me connaissais pas, je me suis aventuré dans un tout autre type d’écriture avec Le Salon, plus légère, en veillant toutefois à ce qu’elle ne nuise pas à la profondeur du propos.

AE :  Sous des aspects parfois loufoques, inattendus, Le Salon est un roman d’apprentissage : il change le destin de son protagoniste.  C’est donner grand crédit au pouvoir de la Littérature.

Oscar Lalo : Du point de vue du lecteur que je suis, qui n’a eu de cesse de lire depuis qu’il a appris à assembler des lettres pour voir apparaître des mots, c’est bien peu pour exprimer mon immense dette de gratitude à l’endroit de la littérature. J’ai onze mille livres chez moi. Des bons, des mauvais et puis quelques grandes œuvres. Les mauvais m’ont autant appris que les bons. Je ne suis jamais sorti indemne d’un livre. Chacun est une rencontre que je vis pleinement, souvent séduit par ce que les « scolaires » considèrent comme des défauts. Moi qui suis si fidèle en amour, je couche avec tous les auteurs qui cognent à la porte de ma chambre. Les grandes œuvres me donnent la sensation de ne jamais être un amant à la hauteur. Elles sont un peu comme des maisons qu’on croit connaître mais dont on découvre à chaque nouvel assaut des pièces supplémentaires dont on peine à croire qu’on soit passé à côté lors de la précédente lecture. À force de les côtoyer et de grandir grâce à d’autres ouvrages moins intemporels, on pense enfin en avoir fait le tour et en avoir arpenté les moindres recoins, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que ce que l’on pensait être les combles n’est qu’un étage supplémentaire et que ce que l’on pensait être une maison est un immeuble dont les étages supérieurs ne se dévoilent qu’au fur et à mesure qu’on les mérite. Aujourd’hui, la méditation est un outil puissant pour me permettre d’accéder à des altitudes littéraires qui me rappellent le propre d’un chef d’œuvre : s’adresser tout autant au petit garçon que j’étais qu’à l’homme mûr que je suis en train de devenir.

 

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