Au clair de la lune

C’est un roman majeur, en verbe, verve et  splendeur

Il  nous vaut , de la rentrée,  notre premier billet de ferveur….

« Il en va des inventeurs comme des écrivains : dès qu’il leur vient une idée, ils ont peur de se la faire piquer. Ce qui ne les empêche pas d’en parler à tout le monde, à tous les dîners, dès que l’occasion se présente, c’est plus fort qu’eux, il faut qu’ils partagent la nouvelle, tout en sachant qu’ils ont tort, car ceux qui les écoutent et que cette histoire semble ennuyer sont au contraire très intéressés. »

Ainsi en va des destins,  éminemment romanesques,  de Nicéphore Niépce (1765-1833) et Edouard-Léon Scott de Martinville (1817-1879).

Le premier invente la photographie, le second, le phonautographe, ancêtre du phonographe.

La mort de Niépce, la naïveté – relative – de Scott priveront les deux génies de la paternité réelle et  gloire corollaire de leurs inventions.

Le récit  de Christophe Donner va les leur restituer, resituer les contextes technique, historique de leurs découvertes, les filiations générées.

Il s’acquitte de sa mission avec brio, fait vibrer le lecteur des fièvre et ferveur engrangées

 » L’idée est là, matin, midi et soir, elle creuse tout un réseau de galeries savantes qui minent sa tranquillité, perturbent son sommeil » 

Des chercheurs américains ont retrouvé et numérisé, en 2008,   le premier enregistrement de l’Histoire. Il date de 1857 et produit la voix d’Edouard Scott de Martinville, venu chanter  » Au clair de la lune » devant la Société d’encouragement pour l’Industrie nationale.

Voilà prétexte suffisant pour un fabuleux roman.

Un roman historique, rythmé de chapitres courts, vifs, sautillants.

Un roman flamboyant

Apolline  Elter

Au clair de la lune, Christophe Donner, roman, Ed. Grasset, août 2018, 282 pp

Billet de ferveur

AE : C’est une véritable révolution qu’ont opérée tant Niépce que Scott de Martinville en capturant qui l’image, qui le son. Elle a un côté sacrilège… :

Christophe Donner :: On connaît bien, en effet, le grand conflit de la représentation de la figure humaine et divine dans les diverses religions. Mais bon an mal an, malgré des périodes iconoclastes, dès qu’il a eu un caillou et un support, l’homme s’est toujours représenté et a représenté ses divinité. L’arrivé de la photographie, si elle fut un choc considérable : c’était la nature qui fabriquait sa propre image, sans intervention de l’artiste, sans interprétation humaine, ne constituait pas une grosse surprise, elle était dans la continuité de la peinture, de la gravure, de la sculpture. En revanche, avec l’enregistrement du son, autrement dit la reproduction de la voix humaine, on abordait une autre dimension et tout à fait sacrilège. C’était pourtant une chose très simple à faire quand on y pense : un génie comme Léonard de Vinci aurait très pu l’inventer. La voix fait vibrer une aiguille, cette vibration trace un trait sur un papier imbiber d’une certaine matière et on a le premier pas vers l’enregistrement du son. C’est ce que fait Scott de Martinville. Et, alors qu’il lui suffirait d’inverser le procédé pour reproduire le son qu’il vient de graver, il ne va pas plus loin parce qu’il est lui aussi empêché, interdit par le tabou que représente la reproduction du son, à savoir la reproduction du temps, à savoir la reproduction de la vie. Car c’est d’abord avec le temps qu’on mesure la vie. Et le son ne s’exprime que dans sa durée. CQFD : reproduire du son c’est reproduire la vie, c’est ressusciter les morts. Privilège réservé aux dieux, puis à Dieu… Il fallait donc avoir tué Dieu pour oser le faire. C’est un poète zutique, un rimbaldien qui l’a osé. Charles Cros. On pourrait donc ajouter ce prodige au crédit d’Arthur Rimbaud…(un Français, encore un, ou pour mieux dire : un francophone)

AE : vous faites de fréquentes références à leurs correspondances respectives.  Sont-elles éditées ?  Comment y avez-vous eu accès ?

Christophe Donner ::La correspondances des frères Niepce est sur le Net. Il y en a un bon millier de pages passionnantes. Je m’étonne d’ailleurs que des psychanalystes ne se soient pas encore penchés (à ma connaissance) sur ce bel exemple de névrose familiale.  Dix ans de mensonges fraternels qui ont présidé à l’invention de l’image photographique, ça n’est pas rien !

Si mon livre peut avoir un petite utilité épistémologique, c’est qu’il montre que ces deux inventions majeures, sans doute les deux plus importantes de notre civilisation moderne (je parle des inventions non destructrices) ont été respectivement le produit de deux névroses bien particulières : rivalité entre deux frères dans le cas des Niepce ; conflit père-fils dans le cas de Scott de Martinville. Tous les génies sont névrosés, on le sait : alors racontons leur névrose, leur histoire, ça n’ôte rien à leur mérite, au contraire, ça les rend humains, magnifiques, romanesques en un mot.

Au clair de la lune, Christophe Donner, roman, Ed. Grasset, août 2018, 282 pp

 

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