Ce que je sais de toi

Au fond, le drame de cette pièce est qu’il lui manquait invariablement son seul véritable protagoniste : toi. »

Lauréat de la Bourse de la Découverte décernée, mardi 10 octobre par la Fondation Prince Pierre de Monaco, le (premier) roman d’Eric Chacour est un véritable joyau.

Joyau, de construction, dramaturgie, introspection, douceur, mélancolie et langage, il pose des images choisies, métaphores inventives sur le silence et les nombreux non-dits d’une vie, de la vie de Tarek Seidah et surtout son absence.

« Tu ne disais rien. Tu te sentais étranger à ta propre histoire. »

Sorte de longue lettre écrite par un (e) proche dont l’identité est longtemps tenue secrète, le récit stigmatise l’extranéité de Tarek par rapport à une vie tracée pour lui.

Devenu médecin au Caire, à l’instar de son père dont il reprend la patientèle, dans les années ’80, Tarek épouse Mira et cette vie bourgeoise qui lui est prescrite au sein de la communauté levantine de la Capitale égyptienne.

Seul « pas de côté »  – entendez  « projet personnel » –  des consultations hebdomadaires au dispensaire de Moqattam dont les habitants vivent en grande précarité

 » Ce n’était pas plus mal que tu te fasses la main sur des petites gens, là où une éventuelle erreur médicale lui semblait de faible enjeu. » 

La rencontre d’Ali décidera de sa vie, de son exil au Canada, du destin, du chagrin de sa propre famille

Pis, j’ai cru que je pourrais rester extérieur à ce récit. C’était insensé.

Vous ne pourrez pas davantage échapper  à cette longue apostrophe, portée par un souffle narratif hors pair

Une lecture hautement recommandée

Apolline Elter

Ce que je sais de toi, Eric Chacour, roman, Ed. Philippe Rey, août 2023,  301 pp

Billet de ferveur

AE :  Dans ce roman épistolaire à la dramaturgie très réfléchie, construite, les femmes ont un rôle très précis, font progresser l’action, quand elles ne l’entravent pas (Mémie).

Fatheya, la bonne, a le rôle crucial de l’oracle, des révélations.

Mira, l’épouse, voit son prénom affublé de concepts tout au long de la narration  «  Mira-Arménité-en-Périil, – Ange de l’Apocalypse, Demi-Sommeil, .. Transmission »   –  balisant la progression de celui-ci.

Un prénom qui se prête à bien des jeux de mots (Mira – mari – mirage..)., faux miroir de son mari ?   En êtiez-vous conscient en la baptisant de la sorte ?

Eric Chacour :  J’aime assez votre image du « faux miroir ». Mira est le reflet de bien des choses :
– de Nesrine dont elle a un caractère assez proche. Toutes deux sont des jeunes femmes bien plus vivantes et dégourdies que les hommes qui les entourent. Elles vivront le même drame mais feront face à lui des choix radicalement différents : l’une de s’enfuir de cet étouffant huis-clos, l’autre d’y flétrir, rongée par la rancœur.
– d’Ali, évidemment. Peut-être est-ce le même souffle de vie qui séduit Tarek chez l’un et l’autre.
– …et de la vie qu’elle aurait pu avoir, qu’elle aurait dû avoir. Un reflet déformant, cruel. Une injustice dont elle ne se remettra jamais vraiment.
Les surnoms sont une manière d’attirer le regard des lecteurs et lectrices sur son sort. De ne pas la réduire à son amertume, d’entrer en empathie avec elle. Le temps d’un Je-vous-salue-Mira.

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