Les murs blancs

C’est l’histoire d’une propriété, site à Châtenay-Malabry, dans les Hauts-de-Seine, ceinte d’un grand parc.

Et c’est bien davantage

C’est l’histoire d’une vie en communauté – d’idées  – impulsée par Emmanuel Mounier (1905-1950) père du « personnalisme » et fondateur de la revue Esprit encore bien vaillante aujourd’hui.

Acquise en 1939, la propriété déploie son activité après la guerre et le retour du front, gérée par six familles, les  (Emmanuel) Mounier(Paul) Fraisse, (Jean-Marie as Jim) Domenach,  (Henri-Irénée) Marrou, (Jean) Baboulène et bientôt les (Paul)  Ricoeur…., dotée d’une constitution et de la volonté de transmettre une vision nouvelle de l’homme, à travers de nombreux débats intellectuels et la publication d’Esprit.

Un laboratoire idéologique, en quelque sorte, qui marquera fortement la pensée de la seconde moitié du XXe siècle et l’utopie d’une « impropriété collective ».

L’éducation des enfants revêt aussi un aspect partagé :  les adultes, appelés « oncles » et « tantes » ont autorité sur la progéniture de chaque famille.

« En fait, résumera notre père, personne ne s’occupait de ses propres enfants ni de ceux des autres, ils étaient trop occupés à sauver le monde. »

De nombreux sympathisants gravitent au fil des ans, intra muros, citons Christophe Donner, Philippe Meyer, Emmanuel Macron, …qui revendiquent l’héritage des idées infusées, diffusées.

D’héritage, de transmission il est question dans la gigantesque enquête e enquête  – nourrie  d’une centaine de rencontres et d’investigations menées depuis plus de dix ans – réalisée par Léa et Hugo Domenach, petits-enfants de « Jim » sur l’histoire des Murs Blancs

« Avant d’écrire ce livre, nous connaissions peu notre grandpère. Nous avions cette image dun vieil homme gueulard, chanteur et farceur qui aimait mettre des char dons dans nos lits, ou accrocher des casseroles aux pots d’échappement de ses invités avant leur départ. Nous le regardions un peu intimidés. Plus tard, après sa mort en 1997, nous l’avons découvert à travers l’admiration des autres : journalistes, professeurs, étudiants, membres de notre famille… Ensuite, lors de notre enquête, nous l’avons rencontré jeune homme, puis dans la force de l’âge, à travers ses écrits et les témoignages de son entourage. C’est grâce à ce livre que nous avons vraiment fait sa connaissance. »

Une connaissance qu’ils partagent magnifiquement, restituant tant la vie quotidienne, ses joies, ses frictions, que le vivant vivier, foyer spiritualiste dont les « Murs blancs » étaient l’emblème

Une lecture captivante, claire, intègre, hautement recommandée.

De celles qui vous grandit.

« Cela nous paraît insensé aujourd’hui que la plupart soient tombés dans loubli, alors que leur rôle fut déterminant dans la suite de lhistoire de France. »

Un devoir de mémoire parfaitement respecté.

Apolline Elter

Les murs blancs, Hugo Domenach et Léa Domenach, récit , Ed. Grasset, février 2021, 320 pp 

Billet de ferveur

AE :  votre père, Nicolas Domenach grandit, enfant, au sein de la Communauté des Murs blancs. Quelle part a-t-il pris à l’élaboration de votre enquête, à  la publication qui en résulte :

Hugo Domenach :  Notre père a été, dès le départ, très bienveillant vis-à-vis de ce projet. Il nous a encouragés, soutenus et nous l’en remercions. Il nous a aussi longuement raconté son enfance dans ce lieu et son témoignage a été très précieux. Cela nous a également permis de connaître mieux son histoire. Il a également lu le manuscrit pour et nous a aidé à corriger certaines erreurs et a apporté des précisions importantes.

Léa Domenach :Et je crois qu’il est très content du résultat. Comme beaucoup d’autres enfants des Murs Blancs, il nous a aussi remercié d’avoir fait ce travail que sa génération n’a pas pu ou pas voulu faire. 

AE :  La communauté mur blanquiste vivait dans une sorte d’autarcie, de confinement avant l’heure. Cela rendait la socialisation plus ardue pour la génération des enfants ?

Hugo :Je ne crois pas. A la différence d’une communauté religieuse par exemple, les enfants allaient à l’école, avaient le droit d’inviter des amis. Et leurs parents invitaient régulièrement des gens très différents pour débattre, faire des conférences, participer à la revue Esprit. Des conférences étaient même parfois organisées spécifiquement pour les enfants. Les habitants des Murs étaient résolument tournés vers le monde extérieur. Je crois que les enfants se sont imprégnés de cet état d’esprit. La meilleure preuve qu’ils n’ont aujourd’hui aucun problème particulier de socialisation. Ils ont tous une vie sociale très accomplie.

Léa :Après je crois que pour chacun cela a été différent. Pour certains, leur bande d’enfant qui vivait dans le lieu leur a suffi pendant longtemps. Il faut dire que d’avoir ces meilleurs amis à disposition 24 heures sur 24 dans un parc aussi spectaculaire, ça ne donne pas forcément envie de sortir. En fait c’était plutôt les autres qui venaient aux Murs Blancs, les enfants eux, jusqu’à l’âge adulte sont beaucoup restés à l’intérieur des Murs. Notre oncle, nous dit même qu’il a pris son premier café à l’extérieur à l’âge de 20 ans. Mais de là à parler de « problème de socialisation »…D’ailleurs beaucoup des enfants devenus grands ont tenté eux aussi à leur tour l’expérience communautaire sous diverses formes.  

AE : La vocation des Murs blancs s’adapte  aux événements, guerre 40-45, mai 68, … revoit son cahier de charges, sans perdre pour autant son âme et la confiance en l’action de l’homme.  Cette vie communautaire peut-elle trouver un sens, aujourd’hui encore ?

Hugo :Elle le peut aujourd’hui plus que jamais. Le personnalisme et la communauté des Murs Blancs ont été créés pour répondre à une  crise. Les habitants des Murs Blancs refusaient le capitalisme et le communisme et voulaient créer une société meilleure dans  laquelle l’épanouissement de chacun passeraient par l’épanouissement du groupe et inversement. Aujourd’hui, nous vivons également des crises multiples, celle du covid mais aussi une crise sociale et écologique. Il s’agit toujours repenser la place de la personne, non pas seulement au sein de la communauté des individus mais de celle du vivant. Sans forcément aller jusqu’à la vie en communauté, de nombreux concepts comme le locavorisme ou la permaculture font aujourd’hui écho aux idéaux des habitants des Murs Blancs.

Léa :J’ajouterai que cette forme de vie communautaire a de toute façon essaimé de différentes manières. Dans certaines idées et concepts qui sont restés ou qui se sont développés. Dans la tentative d’autres hommes et femmes de vivre en communauté à leur tour. A l’heure du Covid et du réchauffement climatique la question du collectif se pose différemment. Ce monde d’après finalement, dont on parle depuis un an, n’est pas très loin sur beaucoup de points de celui imaginer par Mounier : se détacher de l’individualisme et donc de l’individu pour revenir à la personne et donc à l’humain. Aujourd’hui avec la notion d’écologie on ajouterait même : et donc revenir au vivant.

 

 

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