Première dame

Caroline Lunoir a l’écriture rare – quatre romans en huit ans – subtile, efficace.

C’est dire comme nous attendions son nouveau roman.

Il se présente sous forme de journal et de compte à rebours, celui de la campagne – militaire, violente – qui mène Paul V à briguer la présidence de la République française.

Le journal est écrit de la main de Marie, son épouse et débute  quelque deux ans avant le résultat du scrutin.

J’aimerais tenir le journal du fil tendu de notre vie jusqu’à cette cible. Je me suis dit qu’un jour, quelqu’un, le biographe de Paul ou les enfants, voudrait savoir comment j’ai vécu tout ça. J’ai également pensé que plus tard, peut-être, à l’heure du repos et de notre vieillesse, je voudrais me contempler dans le miroir de ces années, retrouver la femme que j’étais, me piquer à l’émotion de ces moments.

Réplique assez  flagrante de  Pénélope Fillon , Marie incarne la bourgeoisie française de droite, la mère de famille « Cyrillus » ([NDLR], nantie de quatre enfants, sains et aimants,  d’une maison de campagne, de ressourcement et d’une aimable pratique de la chasse. Jeune grand-mère, elle file le parfait amour conjugal, depuis 38 ans, avec Paul,. C’est donc tout naturellement qu’elle offre son soutien sans faille à l’ambition de son mari, à son parcours de combattant.

Le combat sera d’une rare violence, qui l’épuise nerveusement, moralement, introduit dans son couple, dans la famille,  le poison de la trahison.

Et c’est cette lente désintégration du moi que l’écrivain étudie avec son don imparable d’observation,  d’introspection.

Avec, en filigranes, ce machisme à tout crin qui  conditionne  aujourd’hui encore l’accession à la fonction suprême de l’Etat

Une lecture recommandée

Apolline Elter

Première dame,  Caroline Lunoir, roman, Ed. Actes Sud, janvier 2019, 188 p

                Billet de faveur

AE : Au-delà des clichés sociaux qu’incarne Marie, parfaite mère de famille, «  dévorée d’inexistence »  c’est le machisme de Paul que vous fustigez,  celui de son affirmation  tranquille «  Le pays n’élira jamais une femme. »

Caroline Lunoir : Le plus triste est que l’assurance tranquille de Paul pourrait être simplement assimilée à un constat pragmatique.

Sa conviction peut en effet se fonder sur notre tradition historique qui, sous la monarchie, écartait les femmes de la succession du pouvoir, à la différence de l’Angleterre par exemple, mais également sur la réalité de notre 5ème République. En soixante ans, malgré l’accession récente de deux femmes au second tour de la présidentielle, nous n’avons aucune habitude, aucun exemple sur le long terme de l’exercice du pouvoir suprême par les femmes, avec une autorité hiérarchique importante. Ainsi, nous n’avons connu qu’une seule femme premier ministre, pendant une brève période de dix mois. Certains ministères, très empreints de tradition masculine et considérés comme sensibles, sont encore quasiment inaccessibles aux femmes : seule Michèle Alliot Marie a su être désignée Ministre des affaires étrangères et Ministre de l’Intérieur. Nouveauté notable : le Ministère de la Défense, très symbolique, a toutefois toujours été confié à des femmes sous la présidence d’Emmanuel Macron (Michèle Alliot Marie avait aussi ouvert la voie).

J’espère que l’avenir proche déjouera les certitudes de Paul, qu’une femme de cette trempe émergera et que seules ses qualités, et non son sexe, prévaudront!

 

AE : Vos remerciements comportent une mention d’Hélène Gestern et du défi épistolaire qu’elle vous a lancé. Pouvez-vous nous le préciser ?

Caroline Lunoir : J’ai rencontré Hélène Gestern à l’occasion de la publication de nos premiers romans lors de la rentrée littéraire de septembre 2011. Au fil des rencontres et des festivals, elle est devenue une amie chère avec laquelle j’aime évoquer nos projets d’écriture. Quelques temps après la parution « d’Au temps pour nous », mon troisième roman, découvrant que je n’avais aucun texte vraiment avancé en cours, elle m’a lancé le défi d’échanger, à la fin de chaque de mois, nos dernières pages d’écritures. Nous nous sommes prises au jeu et de mon côté, j’ai vu naître, au fil du temps, son dernier roman « L’eau qui dort » paru en octobre chez Arléa. C’est fascinant d’assister à la construction d’une intrigue et de la psychologie de personnages. C’est une chance de pouvoir discuter d’eux comme des personnes réelles en débattant de leur passé, leurs réactions ou leur profil. À la fin, nous attendions le dénouement de l’une et de l’autre, comme les lecteurs espéraient peut-être les épisodes suivants des romans feuilletons de la fin du 19ème !

Ce défi, et ces dates butoirs factices qui ont jalonné mon écriture, ont porté le manuscrit de « Première Dame » et ma motivation. Le 29 du mois, quand penaude, vous constatez que vous n’avez rien écrit, vous avez toujours le souci de vous y remettre pour envoyer au moins quelque chose et le texte se nourrit alors, même de ces petites touches. Et vous veillez aussi à instiller une dose de suspense à la fin de l’extrait envoyé pour que votre correspondant réclame la suite !

 

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