La famille de Pantin

La famille de Pantin, c’est Albert, le patriarche, Sarah, la grand-mère, tante Pim, oncle Pap, tante Jac et oncle Pat, tous épatants membres de la lignée maternelle de Michèle Fitoussi, rassemblés, en ce compris sa mère, pour un ultime exil, au…cimetière de Pantin, dans la banlieue parisienne.

Les premières pages du récit nous proposent une visite si joyeusement déroutante du cimetière qu’on brûle d’emblée de tout connaître de cette famille haute en couleurs.

Les couleurs de la Tunisie, la lumière de la Méditerranée.

« J’amis longtemps à me décider. J’ai d’abord fait quelques tentatives, noirci des pages que j’ai rangées avant de les oublier. Ça ne marchait pas. Ça ne marchait jamais. Alors je laissais tomber, je racontais la vie des autres, c’était toujours mieux, plus intéressant, plus grandiose que la nôtre.

  Des couleurs contrastées, mêlées à la grisaille d’un exil parisien et d’une judéité historiquement malmenée, lentement assumée.

« Je suis née française en Tunisie. »

Heureusement, la situation est plus complexe, partant, plus riche.

Et la journaliste, essayiste, romancière, de décortiquer sans tabou, au gré de descriptions précises, historiques, de formules denses et parfois lapidaires comme elle en a le secret, les racines familiales, psycho-génétiques et événements liés, qui l’ont indéniablement façonnée.

 « Je suis une nostalgique de la nostalgie. »

 Un bilan mâtiné d’humour, de tendresse et de reconnaissance envers les siens, mais aussi envers la France, patrie de la lignée qu’elle a elle-même engendrée.

« Je veux combler les manques et les silences. Dire d’où nous venons et qui nous étions à mes enfants, à mon neveu, à mon petit-fils qui ajoute l’Espagne à ses gènes, à ceux qui viendront à sa suite. Quand on est riche de tant de socles, il est bon de les connaître tous. »

Mission accomplie.

Asssurément.

Apolline Elter

La famille de Pantin, Michèle Fitoussi, récit, Ed. Stock, mars 2023, 288 pp

Salon du Livre de Paris: Michèle Fitoussi se prêtera à une séance de dédicaces de 17h à 19h – stand A 27 

Billet de faveur

AE : Ce récit familial mêle, pour notre plus grand intérêt, la « grande » Histoire à celle de votre lignée. On (re)découvre, avec terreur, embarras, comme l’identité juive fut / est encore souvent malmenée

Michèle Fitoussi : Oui c’est vrai pour la Tunisie même si la situation de la minorité juive dans ce pays gouverné, pendant onze siècles, par les Arabes musulmans puis par les Turcs a sans doute été plus enviable que dans les pays chrétiens. En Europe surtout, où les expulsions et les massacres ont été légion. Dans les terres conquises par l’Islam, le Maghreb mais aussi la Syrie, l’Irak ou l’Egypte. Les Juifs ont eu le choix  au VIII siècle,  entre la soumission ou la conversion. Ou l’exil bien sûr. Comme les chrétiens, ils ont choisi la soumission et sont devenus des dhimmis, des citoyens de seconde zone, certes protégés mais aussi soumis au pouvoir et au peuple qui leur étaient supérieurs. Il y a eu des périodes dorées et d’autres plus compliquées, cela dépendait des tribus arabes qui se succédaient. En Tunisie, entre le XII et le XIII siècle, ils ont même dû se cacher et devenir des marranes. La cohabitation entre musulmans et juifs n’a pas été des plus simples. Mais ça fonctionnait.

AE : La Tunisie fut malgré tout plus préservée de l’antisémitisme que de nombreux pays, lors de la persécution nazie :

Michèle Fitoussi :La Tunisie a été le seul pays hors d’Europe envahie par l’Allemagne pendant 6 mois, de novembre 1942 à mai 1943. Les nazis n’ont pas eu le temps d’éliminer les Juifs qui y vivaient mais ils comptaient bien le faire comme partout ailleurs. Des camps ont été construits, mon grand-père maternel,  comme une centaine d’autres notables a été emprisonné, mon grand- père paternel a été soumis au travail forcé, mon père qui avait 15 ans a porté l’étoile jaune. Il y a eu des rançons exigées, des pillages, des viols, des exécutions… Certes les Juifs de Tunisie ont moins souffert que les Juifs d’Europe mais leur destruction était tout autant programmée.Les Alliés les ont sauvés. Ce sont des épisodes peu connus de l’histoire de la deuxième guerre mondiale.

AE : Après le travail heuristique de titan opéré à travers L’Histoire et celle de votre famille, son « bric et [son] broc », vous semblez apaisée – la transmission est assurée –  et riche de nombreuses strates identitaires et de vécu.  A l’instar de Delphine Horvilleur, vous refusez d’être réduite à une seule identité :

Michèle Fitoussi : Je suis dans l’ordre ou le désordre, Française, juive, tunisienne, j’ai un peu de sang grec et de sang italien, un soupçon de culture arabe, mes deux enfants ont un père catholique et français, mon petit- fils est à moitié espagnol. Pourquoi se restreindre alors qu’on peut empiler? L’identité est un chemin, pas une fin en soi. La Tunisie était un pays mosaïque où de nombreuses communautés cohabitaient, je me sens comme elle l’a été : plurielle. C’est une richesse.

AE : Les fragrances de Tunis, les recettes de votre grand-mère Sarah, sont, elles aussi, constitutives de votre parcours. Quelle serait votre madeleine proustienne de prédilection ?

Michèle Fitoussi :  La fleur d’oranger que ma grand- mère utilisait tout le temps, aussi bien dans les pâtisseries que pour calmer une crise de pleurs. C’est devenu mon eau de toilette .Le jasmin bien sûr. Le parfum des figuiers. L.ail frit dans l’huile d’olive.Et l’odeur d’un beignet au sucre, brûlant, qui va fondre dans la bouche quand il sera un peu moins chaud.

 

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