Deux innocents

« L’innocence ne prépare pas au combat. »

Comment vous parler d’un roman à ce point bouleversant, suffocant d’émotion.

Mal. Forcément.

Je vais dès lors vous en tracer l’argument, sobrement, au départ des 489 passages stabilobossés et surtout, surtout vous engager à le lire, à le risquer: vous sortirez pas indemnes de cette lecture.

Elle remuera en vous, je l’espère, des questions sociétales et un sentiment d’urgence: améliorer l’encadrement des personnes handicapées, lui donner des moyens professionnels en incluant les facteurs affectifs et sexuels tout aussi essentiels , voire préalables à l’apprentissage scolaire et l’intégration maximale dans la société.

Armée d’une (trop) maigre formation et d’une infinie bonté, d’une générosité structurée sur des relations familiales saines et une solide foi catholique, Claire Bodin enseigne le secrétariat à l’Embellie, établissement médico-professionnel.

« Mme Bodin est très aimée, sa sollicitude rassure les jeunes et favorise leur réussite. »

Et de fait, l’ambiance est gaie au sein de sa classe.  Une atmosphère qui apprivoise peu à peu Gabriel Noblet, nouvel inscrit en l’établissement, l’extrait de sa prison intérieure et l’emplit d’amour pour son enseignante.

Investie, égarée ( ?)  de bon sens et de bonne foi, Claire lui ouvre ses bras, ne sent poindre le danger et l’étau infernal qui va l’enserrer quand la situation prend un tour tragique.

La maman de Gabriel projette alors sur elle son désespoir; Annick Joyeux, la bien malnommée directrice de l’Embellie, l’enfonce inexorablement dans un précipité de malveillance, d’accusations iniques, au simple motif de sauver la réputation de son établissement.  Sa malfaisance est aussi larvée que renversante.

Le procès qui bat au coeur de ce roman oppose la candeur altruiste, finement défendue par deux avocates, au manque d’encadrement, de formation du personnel enseignant. « Mme Bodin » fait office de bouc émissaire.

Sondant avec une acuité magistrale l’âme de Claire, celle de Gabriel et le moteur d’action de ses adversaires, Mesdames Joyeux et Noblet, Alice Ferney signe un sublime roman.

Je vous saisis de l’urgence de le lire

Apolline Elter

Deux innocents, Alice Ferney, roman, Ed. Actes-Sud, mars 2023, 320 pp

Billet de ferveur

AE : Jean Mouret, le frère de Claire, est un personnage essentiel à la compréhension des événements. Il voit …clair, soutient sa sœur, tente de prévenir son entêtement, sa candeur exagérée, s’indigne, s’emporte contre l’institution, la toxicité irrémédiablement sale de l’accusation et crée un vrai dialogue avec le lecteur. Est-il votre porte-parole ?

Alice Ferney : C’est une excellente remarque, une bonne question, car le romancier a effectivement besoin de personnages qui pensent et parlent, qui se posent des questions et les posent au lecteur.  Dans le cas de Jean Mouret, il est à la fois touché par ce qui se passe et suffisamment extérieur pour ne pas craindre de regarder les choses en face. Mais il aime sa sœur, ce qui évidemment introduit un biais. En ce sens, il ne peut pas être le porte-parole de l’auteur qui, dans ce texte, ambitionne d’être complètement absent et de raconter tous les points de vue.  Mais vous avez raison, Jean Mouret n’est pas loin de pouvoir le faire à ma place !

AE : le portrait de Claire révèle une « catholique » convaincue, sincère et résiliente face à l’adversité. Un peu trop persuadée, peut-être – en tout cas, dans un premier temps –  du bien-fondé de ses principes ? Elle n’entre pas en dialogue avec sa directrice, laquelle n’est pas plus demandeuse.

Son drame personnel n’est-il pas, pour une part, de n’avoir pu enfanter une progéniture nombreuse ?  Elle eût pu y distiller son trop plein de générosité maternelle.

Alice Ferney : Ah ! je n’ai pas du tout cette idée en tête. Une famille nombreuse n’aurait pas changé sa façon d’être, au contraire. Elle n’aime pas ses élèves parce qu’elle n’a eu qu’un seul enfant, elle les aime dans un geste universel d’humanité, elle les accueille dans l’existence.

AE :   Vous dénoncez un drame de notre époque, devenue paranoïaque de la pédophilie, à savoir que » Tout geste affectueux devient suspect »…

Alice Ferney : Le verbe « dénoncer » ne correspond pas à ma démarche, ni d’ailleurs à mon état d’esprit qui est plus paisible, plus posé, moins engagé dans l’action militante dénonciatrice que dans la réflexion laquelle, en ce qui me concerne, suit la curiosité, l’étonnement et l’émotion. L’histoire que raconte Deux innocents est une histoire vraie qui m’a été confiée dans un cadre amical. Elle m’a tellement attristée et stupéfiée que j’y ai beaucoup repensé. Comment un tel engrenage avait-il été possible ? Pourquoi soupçonne-t-on ? Comment se défend-t-on quand on se croit innocent ? Est-on aussi innocent qu’on le croit ? Etc… Ces questions m’ont portée à écrire.

 

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