Humus

S’il est une consécration que j’attendais avec ferveur, c’est celle du prix Interallié pour le magistral roman de Gaspard Koenig

Un prix hautement mérité, tant le sujet, mûrement documenté, l’analyse socio-psychologique des protagonistes, leurs interactions, la progression de l’action, la précision langagière et même l’humour se répondent en une construction romanesque digne de Gustave Flaubert. Excusez du peu.

Mais encore.

La rencontre entre Arthur, issu d’une famille bourgeoise et Kevin – sans accent sur le « e »  – de souche prolétaire, sur les bancs d’AgroParisTech,,  génère une amitié socialement improbable, nouée sur une passion soudaine et tout aussi incongrue pour la sauvegarde planétaire des vers de terre. La survie de ces derniers étant indispensable à celle de l’espèce humaine comme le démontre Marcel Combe, leur Professeur.

Une passion qui va se décliner sur deux voies différentes et voir …décliner quelque peu la force de leur amitié

« Ce qui avait commencé comme une gageure post-adolescente était devenu sa raison de vivre. II fut gagné par une certaine excitation à l’idée de l’épreuve qui s’annonçait. II allait enfin se mesurer à lui-même. »

Décidé à expier la culture à outrance de son grand-père et la disparition corollaire des lombrics sur ses terres, Arthur s’installe dans sa ferme et épouse, avec Anne, la vie passablement bobo de la petite communauté rurale de Saint-Firmin-sur-Orne en Suisse romande. Il ne tarde pas à se paupériser et à se radicaliser.

De son côté, Kevin se meut avec une aisance toute serpentine dans les sphères privilégiées de la société et conçoit avec l’aide de Philippine, intrigante partenaire, des business plans qui propulsent Veritas leur entreprise de vermicompost à un rang aussi convoité que très lucratif.

Alternant les chapitres qui évaluent et voient évoluer en chiasme les succès, échecs, aides et trahisons offertes aux deux protagoniste, le romancier nous convie dans une sorte de laboratoire d’observation.

Il donne à voir, fustige les excès, comportements radicaux tout en laissant au lecteur la liberté de les juger.

Si l’idée qui soutent le propos est celle d’une décroissance écoresponsable, elle sera en tout cas raisonnée (et donc raisonnable)

Un roman et une réflexion de toute haute volée

Apolline Elter

Humus, Gaspard Koenig, roman, Ed. de l’Observatoire, août 2023, 350 pp

Billet de faveur

AE : Si l’attention est portée sur Arthur et Kevin, les deux protagonistes , sortes de « Bouvard et Pécuchet », en mode divergent, il semble que le moteur de l’action soit  principalement attribué aux femmes : Anne qui épaule Arthur, dans un premier temps, puis l’abandonne, provoquant son électrochoc radical,  Léa qui tente l’apaisement des relations de voisinage, Maria, qui les fédère au sein de son café «  La Lanterne » et puis Philippine, qui sans vergogne ni scrupules, entraîne Kevin sur une voie contestable…. :

Gaspard Koenig :  – L’histoire tourne autour d’une amitié masculine (amitié ambiguë d’ailleurs). Les deux personnages féminins “support » sont donc par construction moins développés et moins propices à l’empathie (même si Philippine se voit attribuer des traits de fragilité qui pourraient la complexifier). C’était l’inverse dans mon roman précédent, avec Roxy comme héroïne et David dans un rôle beaucoup plus cynique. Ce sera encore différent dans le roman suivant. Voilà c’est comme ça, je ne me sens pas tenu de respecter un quota de personnages féminins positifs. 

– De manière discrète mais importante, Léa occupe une place centrale : c’est le seul personnage qui “sauve” notre humanité. Vertu suprême : se sacrifier pour une cause à laquelle on ne croit pas.

– Enfin, peut-on vraiment qualifier Kevin de personnage “masculin », tant ’l’hermaphrodisme est au coeur de son existence ?

 

 

 

 

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