Après le Tant mieux nothombien qui inaugurait la rentrée littéraire (chronique sur votre site préféré), le mantra de Laurent Nunez semble nous convier à pareil optimisme.
Cela tombe bien
D’autant que la lecture de ce récit d’enfance, de famille et vie, à la fraîcheur pagnolesque, nous a transportée d’enthousiasme … et d’une consommation effrénée de Post-It
Sautons à pieds joints et joyeux dans le vif du propos, à savoir la constitution identitaire du narrateur sur l’établi des mantras, rituels et usages, façonnés et transmis par une famille superstitieuse, agrémentée de personnages singuliers, loufoques, bougrement attachants.
« Durant mes jeunes années, mes proches m’apprirent bien d’autres astuces pour survivre dans ce monde qui soudain s’enveloppait d’un mystère profond. J’eus conséquemment une enfance unique et bizarre, merveilleuse, incroyablement remplie de bric et de broc : c’est-à-dire de rites, de croyances, d’amulettes, de gris-gris, de formules magiques. J’étais un enfant, j’ignorais qu’on pouvait ne pas croire les adultes (…) «
Exilés à Orléans, en septembre 1972, depuis leur Casablanca natal, Antoinette et Louis Nunez, parents de Laurent, redouteront toujours d’offenser les dieux – réfractaires à l’hybris- d’attirer le « mauvais oeil » sur leur cellule familiale. Polvito, Khamsa, Koutoufatou potaje .... autres concepts tout aussi colorés et recettes façonneront de façon pérenne l’enfance de leur progéniture, heureuse car baignée de tendresse.
Alors l’écrivain choisit la légèreté, la drôlerie – courtoisies suprêmes – pour en faire l’analyse et rendre hommage à son père décédé peu après la publication du Mode avion (Ed; Actes Sud, 2021), énorme coup de coeur, lui aussi, de votre site préféré.
Une découverte que je vous recommande
Ainsi que de souscrire à la supplique d’excipit :
« Laissez-moi aimer les miens tant qu’ils sont miens.
Laissez-moi être superstitieux.
Laissez-moi croire que tout ira bien »
Apolline Elter
Tout ira bien, Laurent Nunez, récit, Ed. Rivages, août 2025, 256 pp
Billet de ferveur
AE : Votre récit a une fonction cathartique : « Je vais devoir tout écrire pour que ma vie soit un peu moins écrite » et de reconnaissance à la fois envers vos parents. Votre Maman l’a-t-elle lu et … approuvé ?
Laurent Nunez :J’ai eu très peur de sa réaction, évidemment. Mais ma mère était impliquée dès le début du projet. C’est la photographe Hannah Assouline qui m’avait donné ce conseil précieux : ‘Enregistre la voix de tes proches. C’est très important comme souvenirs.’ J’ai donc enregistré ma mère avec un dictaphone pendant qu’elle me racontait sa vie au Maroc, Casablanca, l’exil… Sa voix est la matière première de ce livre.
Quand je lui ai donné le manuscrit terminé, j’ai attendu son verdict assez fébrilement. Pas facile d’écrire un roman ET de raconter la vérité ! Elle m’a laissé un message WhatsApp que je garde précieusement. Non seulement elle a aimé, mais elle m’a dit : ‘Tout ce qui nous est arrivé depuis cinquante ans, c’était sans doute pour que tu puisses écrire ce livre.’
Maintenant, quand elle raconte nos histoires de famille, elle ajoute avec fierté : ‘C’est dans le livre de Laurent !’ Ce livre, c’est notre histoire, mais c’est aussi devenu la sienne. Elle en est la co-auteure invisible. »
AE : Avez-vous été cadenassé par la crainte que révèlent les pratiques superstitieuses, là où la simple foi religieuse – optimiste de nature – aurait façonné une enfance plus sereine ?
Laurent Nunez « C’est toute la différence que j’ai découverte en travaillant chez les dominicains ! La foi libère, la superstition enferme. Nous vivions dans la terreur permanente du mauvais œil, du geste mal fait, de la parole malheureuse. Mais paradoxalement, cette enfance ‘cadenassée’ était aussi merveilleusement riche : j’avais accès à un monde invisible, magique, où tout faisait signe. C’était épuisant ET enchanteur.
Dans mon précédent livre, Le Mode Avion, je révèle un mot peu connu : la pronoïa. C’est le contraire de la paranoïa – croire que le monde entier conspire en votre faveur. Eh bien, c’est un peu cela quand on a vraiment la foi ! Ma famille, elle, restait dans la paranoïa : le monde conspirait contre nous, il fallait sans cesse conjurer le sort.
Aujourd’hui, j’ai gardé le meilleur : cette capacité à voir du merveilleux partout, sans la peur qui va avec. Je fais toujours khamsa, mais en souriant. J’ai peut-être trouvé ma propre forme de pronoïa : croire que même nos superstitions les plus absurdes sont des façons de nous tenir la main dans le noir. »