La nuit de feu

La nuit de feu 

 

 » L’éternité a duré un nuit. » 

Le titre est pascalien: il évoque la fameuse nuit du 23 novembre 1654, qui saisit  d’extase et de joie, le très rationnel penseur Blaise Pascal. Ce dernier a 31 ans, il vient d’échapper à un accident de circulation.

Agé de 28 ans, en 1989,  Eric-Emmanuel Schmitt, participe à une expédition dans le Sahara algérien, aux fins d’écrire le scénario d’un film sur Charles de Foucauld. Egaré dans le froid de la nuit, après l’ascension euphorique du Mont Tahat, il se sent envahi, ravi, d’une force irrépressible et bienfaisante à la fois, qui commue l’angoisse de sa situation en une vision confiante de l’éternité.

 » Tout a un sens. Tout est justifié. »

Un bouleversement existentiel pour ce jeune philosophe, agnostique, épris de rationalité.

Une révolution spirituelle qui nourrit son rapport à la vie, ses écrits, toujours croissante, plus de vingt-cinq ans après l’événement. Gardée longtemps secrète – « Je tremble qu’on se méprenne sur ma confidence… » – la foi – la joie – que le célèbre écrivain a contractée cette fameuse nuit, s’exprime désormais au grand jour, nourrie de simplicité, d’humilité, de mots qui sonnent juste et rendent le témoignage sublime, singulièrement percutant, optmiste, apaisant…

« Si on me demande: « Dieu existe-t-il? « , je réponds: « Je ne sais pas », car, philosophiquement, je demeure agnostique, unique parti tenable avec la seule raison. Cependant, j’ajoute: « je crois que oui ».  La croyance se distingue radicalement de la science. Je ne les confondrai pas. Ce que je sais n’est pas ce que je crois. Et ce que je crois ne deviendra jamais ce que je sais. »

Une lecture lumineuse. Grandiose. Et je pèse mes mots.

Apolline Elter

 La nuit du feu, Eric-Emmanuel Schmitt, témoignage, Ed. Albin Michel, août 2015, 190 pp

Billet de ferveur

AE :  Un quart de siècle est passé, depuis ce bouleversement existentiel – l’expérience reste pourtant d’un présent inouï – vous nous en faites …présent (et nous vous en sommes reconnaissants)  Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour la consigner ?

Eric-Emmanuel Schmitt : J’ai mis du temps à considérer que cette expérience, quoique personnelle, devait devenir publique. Lorsque je l’évoquais parfois, les yeux des mes interlocuteurs s’arrondissaient et un grand silence s’installait pour m’écouter. J’ai compris que je devais colporter ce message : la vie est plus riche que nous l’imaginons, elle nous surprend et nous comble parfois, nos certitudes restent malléables,  il faut être prêt pour la révolution… et la révélation ! Une fois que j’eus décidé d’écrire ce livre, j’ai mis longtemps à en trouver la forme exacte,  celle d’un voyage à pied –  une expédition dans le Sahara – qui se double d’un voyage spirituel. Et puis, avant de rédiger ce récit initiatique, il a fallu faire sauter l’ultime résistance : dire « je » ! J’ai publié quarante livres – romans, pièces, nouvelles – sans jamais dire « je » ! Or je ne voulais pas tendre mon portrait au lecteur, mais lui tendre un miroir où il peut se voir et se découvrir lui-même.

 

AE : Avez-vous confronté cette révélation mystique à l’expérience de moines contemplatifs ?

Eric-Emmanuel Schmitt : Dans mon cas, les contemplations succèdent à la révélation. Tout un champ d’expériences m’a été ouvert pas cette nuit. Le retrait du monde, propre aux moines contemplatifs me pose néanmoins un problème : lorsqu’on a reçu la grâce, il me semble qu’on ne doit pas se retirer du monde mais au contraire, s’y engager pour témoigner, améliorer ce qu’il est possible de changer. Ma nuit au désert a fait de moi un optimiste actif, un militant de la joie. Naturellement, je respecte ceux qui contemplent et prient pour nous, ceux qui nous accueillent pour nous permettre de retrouver la paix de l’âme, mais je suis plus « séculier » que « contemplatif ».

AE : Le projet initial de film sur l’ermitage de Charles de Foucauld at-il vu le jour ?

Eric-Emmanuel Schmitt : Malheureusement, ce beau scénario ne fut jamais tourné. Le producteur s’est désengagé suite à des problèmes d’argent et le metteur en scène venait de connaître un échec avec son dernier film. Le cinéma… Rude métier ! Moi, à l’époque, je ne comptais pas car j’étais inconnu. Votre question me rappelle que, maintenant que j’ai dirigé plusieurs longs métrages, j’aimerais bien, un jour, tourner l’épopée de Charles de Foucauld. Rendre au désert ce qu’il m’a donné…

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Eric-Emmanuel Schmitt était  l’invité d’honneur du Salon « Ecrire L’Histoire » (Coudenberg 15 novembre 2015) .  Une  nouvelle fois  l’écrivain conquit un public nombreux et fervent de propos qui ne l’étaient pas moins, de paroles véritablement bienfaisantes.  L’entretien avait pour toile de fond les tout récents attentats de Paris et apposa comme heureuse résistance, le sceau de la seule attitude utile envers la vie: celle de la bienveillance.