« Je voudrais écrire ce qui va suivre en ponçant la langue, les mots, l’orthographe, la grammaire, gratter, gratter jusqu’à buter sur l’os même de l’acte et qu’il existe sur cette page comme tel : un geste inqualifiable, innommable, sans langue, sans mots, sans orthographe, sans grammaire. »
4 mai 2021: le féminicide atroce dont est victime Chahinez Daoud, à Mérignac, près de Bordeaux, convoque en Nathacha Appanah la nécessité de parler de celui auquel elle a échappé en 1998- elle est alors âgée de vingt-cinq ans- sous l’emprise mortifère de « HC, » une sorte de « poète maudit », de trente ans son aîné.
Ce qu’elle a refoulé depuis quelque vingt-cinq années va entrer en résonance de « sororité » avec l’enfer qu’ont connu Chahinez Daoud et Emma, une de ses cousines, tuée, elle aussi, par son mari, RD, un dimanche de décembre 2000
Et l’écrivaine de s’interroger constamment sur la légitimité et la pertinence de son écriture.
Troublants et attendus à la fois sont les schémas similaires de l’emprise obsessionnelle, implacable, destructrice et mortelle, dans le cas de Chahinez et d’Emma, de conjoints pervers narcissiques
Jouant le chaud et le froid car ils ne sont pas complètement noirs – et il est même des périodes de répit dans ces longues nuits de leurs victimes – les conjoints que sont HC, MB et RD disposent de leurs compagnes, de leurs corps et esprits en pleine propriété. N’hésitant à les insulter, humilier, isoler, violer, battre et menacer de mort
Et les tuer.
Et ces dernières acceptent trop rarement à temps les mains qui se tendent
Par orgueil, naïveté, amour ou sentiment de culpabilité
Ou pour protéger des enfants, de crainte de s’en voir retirer la garde.
Proposant d’enfermer ces trois bourreaux dans une pièce imaginaire où elle les laisserait mariner bouches closes, Nathacha Appanah opère une enquête intègre, délicate et lucide sur les féminicides dont furent victimes Chahinez et Emma, pour leur restituer vie, gaieté et vérité, à l’aune de sa propre expérience qui dura quelque huit années
Sa voix douce et tonique à la fois confère à la lecture audiolivresque une qualité imparable.
Un devoir de mémoire courageusement entrepris
Un prix Femina d’envergure et de nécessité
Apolline Elter
La nuit au cœur, Nathacha Appanah, roman, Ed. Gallimard, août 2925, 283 pp- Ecoutez lire, août 2025 – Texte intégrale lu par l’auteure – durée d’écoute 8h 58 min.





































































































































































