« C’était là, dans ce creux de Bretagne, entre un ciel bas et une terre sableuse, que se nichait quelque chose que je ne comprenais pas mais que je sentais remuer en moi. Comme si ce paysage me contenait tout entière »
Finistère Là où finissent les terres et s’inscrit l’histoire de la famille paternelle d’Anne Berest
Gravissant les branches de son arbre Berest et de Brest jusqu’à son arrière-grand-père Eugène, la merveilleuse écrivaine de Gabriële (Ed. Stock, 2017), La carte postale (Ed. Grasset ,2021) explore une nouvelle fois les ressorts de la transgénéalogie.
« Les récits familiaux construisent ces héritages. Mais peut-être portons-nous également en nous des legs imperceptibles. »
Un leitmotiv: nous sommes constitués de nos ascendants, dans le plus profond de nos inconscients, et les (mieux) connaître permet non seulement de prévenir le futur, de soigner le présent mais aussi le passé.
« Toute ma vie, j’ai regardé mon père comme un mystère »
Pierre Berest (1950-2022) fut un scientifique de haut vol, chercheur, ingénieur des mines, professeur et expert mondial en cavités, aussi discret que mutique et talentueux. Avec Lélia Picabia, son épouse, chercheuse elle aussi et professeur de linguistique, il forme un couple d’intellectuels de gauche, éduquant leur trois filles, Isabel, Anne et Claire dans l’injonction absolue de la liberté pourvu qu’elle évite l’embourgeoisement, la tentation capitaliste.
Une orientation sociale qui remonte à Eugène, Bérest (porteur d’un accent omis dans la déclaration de naissance de Pierre) l’arrière-grand-père venu de Saint-Malo à Saint-Pol- de-Léon (Finistère), fédérer un syndicat de paysans et créer La Bretonne, une coopérative agricole.
Avec son épouse Theresa, d’origine anglaise, ils mettent au monde trois enfants dont Eugène-fils, le grand-père d’Anne, futur maire de Brest, qui noue avec Eugène-père une relation fusionnelle. Une fusion qu’il entrave pourtant pour quitter Saint-Pol et participer ,avec Odile son épouse, à la reconstruction de Brest, dévastée par la guerre. De cette union naît Pierre, le 10 mars 1950 après une soeur prénommée Elizabeth
La vaste recherche historique, documentaire opérée par la romancière cède alors la place à un focus plus intime sur son père, être qu’elle aime d’un amour passionné, sans jamais pouvoir le cerner et avoir la certitude d’en être aimée de retour. Un malaise s’est introduit dans leur relation ,semble-t-il ,à l’époque de son adolescence.
La maladie de Pierre, un double cancer dont les thérapies ne peuvent être synchronisées, est prétexte à un rapprochement, avec sa fille à un bilan de sa vie, de ses engagements. En point de mire ses adhésions au mouvement trotskiste et Comité Vietnam national.
Si la multiplication des entretiens est des plus instructive, elle ne semble apporter le réconfort du véritable dialogue, du rapprochement attendu, avivant le malaise de leur relation.
La constante de la lignée paternelle n’est-elle pas justement cette bifurcartion par rapport aux desseins des générations précédentes ?
En cela Anne Berest épouse magnifiquement cette dynamique en spirale
Et rend un hommage vibrant au couple de ses parents
Apolline Elter
Finistère, Anne Berest, roman, Ed: Albin Michel, août 2025, 432 pp