Le sermon sur la chute de Rome

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 » Ce monde-là ne perdurait qu’ainsi, à mi-chemin de l’existence et du néant, et Matthieu l’y maintenait soigneusement, dans un réseau complexe d’actes inaccomplis, de désir, de répulsion et de chair impalpable, sans savoir que, des années plus tard, la chute du monde qu’il allait bientôt choisir de faire exister le ramènerait vers Judith comme vers un foyer perdu, et qu’il se reprocherait alors de s’être si cruellement trompé de destin. »

S’il est un roman que s’arrache la critique, à juste titre – et quel titre..! – c’est  Le sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari. Alliant une intrigue minimaliste à une écriture dense, élégante et somptueuse, à l’introspection chirurgicale, drôle parfois, d’une certaine âme humaine,  l’écrivain corse mérite les prix littéraires les plus prestigieux… ou je ne m’appelle pas Apolline….

« Nous ne savons pas, en vérité, ce que sont les mondes. Mais nous pouvons guetter les signes de leur fin. Le déclenchement d’un obturateur dans la lumière de l’été, la main fine d’une jeune femme fatiguée, posée sur celle de son grand-père, ou la voile carrée d’un navire qui entre dans le port d’Hippone, portant avec lui, depuis l’Italie, la nouvelle inconcevable que Rome est tombée. »

Avec toile de fond,  le discours d’Hippone, un des quatre sermons sur la chute de Rome que Saint-Augustin adresse à ses fidèles, désespérés par l’écroulement d’une ville aussi mythique qu’éternelle, le roman  se focalise sur Matthieu et Libero, étudiants en philosophie, qui renoncent à leurs études pour reprendre un bar en leur village corse natal…

 » Au mois d’août, avant son départ pour l’Algérie, Aurélie vint passer une quinzaine de jours au village (…) et elle fut stupéfaite d’y trouver le jaillissement d’une vie bouillonnante et désordonnée qui déferlait sur toute chose mais prenait manifestement sa source dans le bar de son frère. On y trouvait une clientèle hétéroclite et joyeuse, qui mêlait les habitués, des jeunes gens venus des villages alentour et des touristes de toutes nationalités, incroyablement réunis dans une communion festive et alcoolisée que ne venait troubler, contre toute attente, aucune altercation. On aurait dit que c’était le lieu choisi par Dieu pour expérimenter le règne de l’amour sur terre et les riverains eux-mêmes, d’habitude si prompts à se plaindre des moindres nuisances, au rang desquelles il fallait compter la simple existence de leurs contemporains, arboraient le sourire inaltérable et béat des élus. »

Plume magistrale, Jérôme Ferrari pratique le  phrasé long, quête incessante de précision,  harmonieusement balisé de virgules qui en ponctuent le rythme et la mélodie

« Pré »-texte, le fil conducteur déroule également  la vie de Marcel, grand-père de Matthieu,  au gré de flashs back et du portrait d’un homme qui « contemple d’abord le spectacle de sa propre absence. »

Un roman, une oeuvre, une vraie  qui « tient par [cette] force interne du style« , quintessence du voeu flaubertien

A suivre.

AE

Le sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari, roman, Actes Sud, août 2012, 208 pp, 19 €