La dernière licorne

Coincée entre une mère omnipotente, « prototype insupportable de la mère parfaite »,  un père, un tantinet absent et Anna, sa sœur, presque jumelle, aphasique, Paula rue son adolescence dans les brancards de la culpabilité : c’est en la protégeant qu’Anna est tombée, autrefois, dans l’escalier et a perdu l’usage de la parole.

« J’aurais donné n’importe quoi, j’aurais fait n’importe quoi pour effacer cet accident de nos vies, pour retrouver ma sœur, ma vraie sœur qui parle, pour qu’elle soit mon amie, pour ne plus me sentir si seule au monde. » (p45)

Et voici que les circonstances vont justement lui donner l’occasion, sinon d’effacer l’accident, du moins de se « racheter », de pénétrer dans l’univers mental de sa sœur, en la remplaçant lors d’un séjour d’observation en institution psychiatrique.

« Donc, j’ai seize ans, je parle peu, je comprends mal, j’aime ranger, j’ai besoin de repères et d’organisation, je ne reste pas une minute inactive, j’aime les autres spontanément, sans calcul, je suis absolument libre et joyeuse dans ma tête. Je ne pleure jamais. » (p 125)

C’est à une introspection fouillée, respectueuse et  subtile de la différence, du handicap qu’Eva Kavian nous convie. Dans sa  perception externe, mais surtout, prouesse d’humanité et de plume, dans le processus interne de l’aphasie. Le tout truffé d’un humour ado, bougon très attachant.

« Maman m’a prise dans les bras comme si j’étais Anna. Sauf qu’Anna ne pleure jamais. Quand Papa est revenu, il m’a serrée très fort contre lui. On dirait qu’ils viennent de remarquer que j’existe moi aussi. Et qu’il m’arrive d’avoir besoin d’amour. » (p 65)

Si la lecture de ce petit joyau nous permet, à l’instar de Paula de « changer la lentille de l’appareil photo », de voir la différence comme un facteur d’équilibre humain, alors Eva Kavian aura gagné son pari. Elle le mérite.

Apolline Elter

La dernière licorne, Eva Kavian,  Mijade, Namur, février 2008, 214 pp, 9 €