Juste un regard

Bien plus que cela, en réalité.

Couverture du livre« Juste un regard sans jugement, sans parti-pris, sans avis tranché sur la question, sans curiosité malsaine, sans préjugés. Celui que l’on poserait avec pudeur sur une forme de détresse humaine et qui par sa sincérité mériterait la rencontre. »

Paru  en la nouvelle maison d’édition, Avant-Propos, dirigée par Hervé Gérard, l’ouvrage né de la plume d’Isabelle Bary, écrivain, et de la lentille de Caroline Wolvesperges, photographe, est un hommage aux Bruxellois de la rue. Un an durant, les deux jeunes femmes sont allées à la rencontre de femmes  et d’hommes qui ont versé un jour, peut-être d’un coup, dans la précarité et se sont vus livrés à la rue, à l’indifférence établie des passants que nous sommes et à une totale liberté, grevée d’ennui et de détresse enracinée.

« Il y a des rendez-vous que l’on rate et d’autres qu’on choisit de ne pas manquer »

Ce regard porté sur des interlocuteurs d’un jour, d’une heure est toujours empreint de respect, d’écoute et de tact. Isabelle Bary Caroline Wolvesperges présentent des instantanés de vie qui, évitant toute langue de bois, donnent existence aux personnes rencontrées. Et c’est sans doute cela qui, allié à la qualité de la plume et des portraits,  fait de ce recueil un ouvrage fort. Très fort.

 » Des hommes et des femmes, certains très sales, édentés, balafrés, déchirés, battus peut-être, qui crient, hurlent, hululent, tournent fou, sanglotent. Et tous ces yeux, toujours ces yeux qui comme des radars cherchent ceux des autres sans toujours oser s’y frotter« 

Un regard hautement recommandé.

A noter que les auteurs cèdent l’intégralité de leurs droits à l’association « Jamais sans toit ».

Apolline Elter

Juste un regard. Un hommage aux Bruxellois de la rue, Isabelle Bary et Caroline Wolvesperges, Avant-Propos, novembre 2010, 24,95 €

 Billet de faveur

AE :  A travers cet ouvrage, Isabelle Bary et Caroline Wolvesperges, vous réfutez l’image d’Epinal qui voit une solidarité obligée entre les sans-abri . C’est plutôt la jungle qui préside à leurs relations. Le pressentiez-vous ?

 Isabelle Bary, Caroline Wolvesperges: Nous sommes parties à la rencontre de ces femmes et ces hommes sans préparation, ni a priori. Nous avons vraiment tenté de laisser nos préjugés de côté. Dès lors, toutes les images et tous les mots reçus ont été pour nous source de surprise. Mais il est vrai que les idées préconçues ont la peau dure et nous avons dû nous habituer à les voir se disputer là où sans doute nous attendions une fraternité de rue. Mais pourquoi seraient-ils différents de nous ? Ne vivons-nous pas dans une jungle, nous aussi?

 AE : Rencontrer ces gens de « l’autre monde », créer une passerelle avec le trottoir est un exercice très délicat. Il faut éviter à la fois l’écueil du paternalisme, du misérabilisme ou de l’idéalisme suspect. Ce qui permet de maintenir l’équilibre, n’est-ce pas tout simplement le respect. Respect de l’autre et de sa dignité ?

 Isabelle Bary, Caroline Wolvesperges : Oui, le respect est l’atout majeur. Si vous respectez la personne en face de vous, en l’abordant comme si vous abordiez « n’importe qui », elle vous le rend d’emblée. Ce respect ne signifie pas une politesse particulière, simplement une considération. Voir l’autre, quel qu’il soit, le regarder, le saluer, lui sourire, c’est déjà franchir la frontière du déni.

 AE:  De même, vous évitez le côté culpabilisant qu’une telle relation peut engendrer chez le lecteur. L’objectif de votre ouvrage n’est-il pas, tout simplement, d’établir les prémisses d’une possible communication?

 Isabelle Bary, Caroline Wolvesperges: Le but de notre projet était de donner aux gens l’envie d’oser un autre regard sur cette forme de misère-là. De faire passer un message simple, qui les remue un peu dans le confort de leur ignorance à l’égard de ces gens qui ont tout perdu. Emouvoir par des images et des mots empreints de pudeurs mais forts aussi, qui bousculent un peu les idées préconçues et, oui, poussent  à un dialogue entre les deux mondes. Jamais nous n’avons envisagé de critiquer ou culpabiliser les acteurs divers de notre société, mais bien de leur faire prendre conscience de ce qui leur parait parfois invisible.

 AE:   On ne sort pas indemne d’une telle expérience– le lecteur non plus. Avez-vous gardé des contacts avec certaines des personnes rencontrées ?

Isabelle Bary, Caroline Wolvesperges: Nous gardons des nouvelles de certains, par l’association « Jamais sans toit », au profit de laquelle nous abandonnons nos droits d’auteurs et qui côtoie beaucoup d’entre eux au quotidien. Quelques-uns sont décédés depuis. Nous sommes allés en revoir d’autres. Alors que nous avions établi une relation à l’époque de notre travail, peu cependant nous reconnaissent d’emblée. Leur monde vit dans le présent, dans « ce qu’on va manger où on va dormir ». Si nous avons l’impression de leur avoir apporté quelques instants de chaleur, nous savons aussi que nous ne sommes pour eux que des gens de passage. Eux nous ont apporté beaucoup, sans le savoir. Nous espérons que notre petite contribution d’écrivain et de photographe permettra à d’autres talents d’apporter leur pierre à l’édifice d’un changement.

 AE:  L’intégralité de vos droits d’auteurs  (textes et photographies) seront verses  à l’association “Jamais sans toit”.  Des pages très belles sont consacrées à votre rencontre avec Muriel, l’âme de l’association. Vous semblez impressionnées par son action :

Isabelle Bary, Caroline Wolvesperges: Son action, justement, c’est le quotidien. Ce sont ces petites choses que Muriel fait tous les jours pour eux, qui ne se voient pas mais qui contribuent à leur conserver une dignité d’homme. Muriel fait partie intégrante de leur vie. Et cette abnégation, ce don de soi, non d’un moment, mais de tous les jours, est tout simplement admirable.