Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes

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La mort conjointe et inopinée de ses parents, Bao et Fang et l’ensevelissement de leurs dépouilles sous le sumac – entendez l’arbre à laque – qui domine la cour de la masure familiale, lient Wei – as Monsieur Zhang- le héros du roman,  d’un serment contraignant.  Il leur  a juré de devenir propriétaire des lieux, aux fins d’honorer et de protéger leur sépulture.

 Chez les Zhang, vivants et morts faisaient bon ménage ; et l’on pourrait dire : se trouvaient en bonne intelligence tant les nouvelles qu’ils échangeaient  à leur insu (les uns foulant le sol du jardin, les autres dépêchant taupes et lombrics vers le soleil ou remuant par leur terminaison les racines du sumac), tant ces signes donc établissaient entre eux un genre cl’ intimité.

Il amasse, pour ce faire, tous les yuans qu’il peut soustraire à la survie du petit clan familial dont il a la charge, à savoir Yun, sa chère épouse, Meifen, leur délicieuse ado, Madame Cui, sa belle-mère et le vieil oncle Hou-Chi, scotché en permanence devant son poste de TV.

Mais des forces contraires vont entraver la route et les résolutions  de ce patriarche don quichottesque de la Chine contemporaine: à peine a-t-il réuni la somme d’acquisition du bien, exigée par Monsieur Fan, son richissime propriétaire, que Monsieur Zhang le voit frapper d’un avis d’expropriation.  Perché sur une mine de terbium, le quartier va être rasé, qui  permettra à une importante compagnie  minière d’exploiter le minerai providentiel.

Tel David contre Goliath, Sisyphe contre son rocher, Wei entre en résistance totale, immodérée, contre ce monstrueux avatar d’un capitalisme chinois en pleine action.

Maniant la plume, la syntaxe, l’humour et le style avec une maîtrise imparable, Olivier Bleys, signe, je vous le certifie, un roman-phare, conte singulier, fabuleux, envoûtant, de notre littérature contemporaine.

Vous l’aurez compris: je vous en recommande vivement la lecture.

Apolline Elter

Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes, Olivier Bleys, roman, Ed. Albin Michel, août 2015, 296 pp

 

Billet de haute faveur

AE : Olivier Bleys, sous le prétexte d’une acquisition à tout crin, c’est la vanité du capitalisme que vous fustigez en un chapelet de perles et de  de contes subtils. En  filigranes,  deux histoires d’amour, celui qui unit Wei et Yun mais aussi celui qui réunit,  pour l’éternité,   Bao et Fang, nouveaux Philémon et Baucis  [NDLR , conte d’Ovide] de la Chine contemporaine. L’amour a donc raison de l’éphémère ?

Olivier Bleys : Oui, assurément. Je ne crois pas que l’amour soit jamais vaincu, malgré des apparences souvent contraires sur l’imposture desquelles nombre de religions nous mettent en garde. L’amour est à mes yeux une force majuscule, une énergie puissante et souveraine à l’égal par exemple de la gravité qui nous attache au sol. Vaincre l’amour, en avoir raison, me paraît une ambition aussi vaine que d’effacer l’eau de la surface de la Terre. L’amour est là, pour toujours, et commande essentiellement à la plupart de nos actes — du moins, à ceux qui demeurent. Voilà pourquoi ce roman, malgré encore ce qui semble, est moins une fable sociale ou un conte écologique, moins une méditation économique ou un traité capitaliste qu’un  récit d’amour. Tel, du moins, je l’ai voulu… C’est la première fois, depuis vingt-trois ans et vingt-deux livres, que je dépeins un couple heureux, serein, solidaire, un couple amoureux en somme. Cela pourrait être un aspect très secondaire du roman or, comme vous l’avez deviné, c’en est le cœur et le foyer secret — au propre comme au figuré, le centre de gravité.