Les silences des pères

 » Mon père n’a jamais fait aucun excès, si ce n’est celui de ne jamais rien nous avoir dit » 

Appelé au chevet posthume d’un père qu’il n’a plus vu depuis vingt-deux années, le narrateur, pianiste d’envergure internationale, retrouve ses soeurs et Trappes, la cité de son enfance. 

Pressé par le temps, il entreprend de vider l’appartement du défunt et découvre « par accident’ une quarantaine de cassettes audio, étiquetées de mentions d’années – de 1965 à 2006 –  et de villes –  Lille, Besançon, Barbès, …-  dissimulées dans la chambre de visite de la baignoire..

Un magnétophone Panasonic s’en extrait également qui rend possible l’écoute immédiate, le jaillissement de la voix du défunt.

«  Mon père s’exprime en arable. Je comprends immédiatement qu’il s’adresse à mon grand-père resté au pays »

Et c’est ainsi que se déploie, porté par la voix de son père, si jeune encore, dans les années soixante, le récit de quarante années d’exil, de travail forcené, de deuils tus,  endurés dans une souffrance recouverte de silence.

Un silence qui a fait naître distance, incompréhension; désamour dans le chef d’Amine, son fils

Et ce dernier d’apprivoiser, sidéré, peu à peu apaisé, l’image d’un homme altruiste, aimant, profondément attaché aux siens, à un amour ancien.

De rencontrer Driss Fnine, le collègue et ami dont il a sauvé la vie.et Noureddine, « petit producteur de musique », le Grand Martin et Paulette.

De rencontrer enfin son père

 » J’avais comme l’étrange sentiment d’avoir été trompé, que mon père était différent, que c’était un autre homme. » 

De cerner une réalité, celle de l’immigration en France, son histoire à travers plusieurs décennies.

« L’immigration et la France me donnaient la nausée.

Aussi j’avais voulu me réaliser ailleurs, loin de mon frère, de ma mère, de mon père et de Trappes. Voyager et jouer dans les salles du monde entier. Sans attaches ni contraintes. Sans compagne ni enfant. J’étais seul. »

Un roman d’autant plus percutant qu’il est porté par une écriture sobre, digne pendant d’Ainsi parlait ma mère (Ed. Seuil,; janvier 2020 – billet de faveur sur ce site) 

Un roman d’apprentissage à rebours, doublé d’un subtil  coup de projecteur sur les conditions de travail, d’intégration, en France,;des travailleurs immigrés;  durant la seconde moitié du XXe siècle 

Je vous en recommande la lecture

Apolline Elter 

Les silences des pères, Rachid Benzine, roman, Ed. Seuil, août 2023, 176 pp

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