Je te vois reine des quatre parties du monde

 

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  » Comment inventer le rôle d’une femme sur un galion? Sinon en faisant preuve de la même discipline que les gens de mer.

A sa manière. »

S’embarquer aux côtés d’Alexandra Lapierre dans un récit à source historique, c’est se garantir un  voyage dense, passionnant, palpitant.  

D’une plume bien trempée, alerte, l’écrivain pénêtre le destin et la psychologie d’Isabel Barreto  ( née à Lima (Pérou)  en +/- 1568- décédée en 1612 dans les Andes péruviennes) , la fameuse Veuve du Gouverneur dont notre compatriote Marie-Eve Sténuit avait tracé portrait (voir chronique sur ce blog).

Elevée comme un garçon au sein d’une fratrie nombreuse, Isabel épouse en mai 1585 l’adelantado Alvaro de Mendaňa. Le mariage est d’amour et de passion: après dix ans de préparatifs, le couple embarque à bord du San Jérónimo  à la tête d’une expédition de quatre navires dans les mers du Sud. L’enjeu : retrouver les îles Salomon que Mendaňa a découvertes en 1568 et les offrir à la couronne espagnole.  Errance, erreurs de navigation, tensions, carnages et conditions de vie alarmantes ponctueront ce périple d’envergure,  qui aboutiront au décès de l’adelantado :« Que va-t-il advenir des îles, que va-t-il advenir de toi? Les îles Salomon existent, répétait-il inlassablement, elles existent, tu existes, je te vois reine des quatre parties du monde… »

Promue Gobernadora par le testament spirituel de son époux, Isabel Barreto contractera mariage avec un second Conquistador, Don Hernando de Castro. Réfugiée dans un couvent, Isabel attendra le retour de ce dernier, expiant par mortifications extrêmes les méfaits dont elle se sent coupable.

Opérant un flash back à partir de ce séjour de 1608 au couvent Santa Clara de Lima, le roman d’Alexandra Lapierre se construit comme une confession, un dialogue avec Pétronille, la sœur aînée d’Isabel,  pétri de mystères et de rebondissements.

Les descriptions foisonnent, mises en scène magistrales, qui donnent à l’épopée un air de vécu imparable.

Une lecture recommandée.

Apolline Elter

Je te vois reine des quatre parties du monde, Alexandra Lapierre, roman, mars 2013, 574 pp, 21,9 €

 

Billet de faveur

AE :  A plusieurs reprises, vous évoquez, Alexandra Lapierre, les notes qu’Isabel Barreto dicte à sa lectrice et secrétaire,  Doňa Elvira . Ces notes existent-elles ? Les avez-vous parcourues ?

Alexandra Lapierre : Elles ont malheureusement disparu ! En revanche, j’ai bien pu lire les témoignages de Doña Elvira Lozano, lors des différentes enquêtes des autorités de Manille et du Mexique sur la traversée. La lectrice s’était bien embarquée sur le « San Jeronimo » comme demoiselle d’honneur et secrétaire particulière d’Isabel Barreto. Cette dernière la mariera à bord avec l’un de ses lieutenants, et le jeune homme se mutinera sur l’île de Santa Cruz. J’ai choisi de raconter certains épisodes de cette mutinerie sous forme de notes pour rendre le ton plus vivant, mais  tous les évènements du récit sont exacts. Les témoins racontent que le mari de Doña Elvira était fou de jalousie envers le frère d’Isabel qu’il soupçonnait d’avoir deshonnoré sa femme. 

AE : Avec la mort d’Alvaro de Mendaňa, l’expédition prend une connotation d’échec.  Sans le savoir, Mendaňa avait pourtant atteint sa cible et accosté en une île de l’archipel des Salamon. Quand cette vérité fut-elle révélée? 

Alexandra Lapierre : Très longtemps après, même si Isabel Baretto en avait eu l’intuition à l’époque ! …AU XVIIIe Siècle quand les navigateurs seront capables de calculer la longitude et donc de faire un point exact, on connaîtra avec precision l’emplacement des îles. Encore plus tard, au XXe siècle, une mission archéologique trouvrera les vestiges d’un campement espagnol établi – ou plutôt échoué à la fin du XVIe Siècle – sur l’île de San Cristobal. Les archéologues pensent qu’il s’agissait des passagers de l’Almiranta, le second galion de l’expédition d’Isabel qui avait disparu au large de Santa Cruz en1595. L’expédition avait donc bien atteint la destination que Mendaña, le mari d’Isabel, lui avait fixée !

 AE : l’écriture de ce roman monumental a bouleversé votre vie, expliquez-vous dans la postface, vous entraînant à la suite d’Isabel Barreto, aux quatre coins du monde, en Europe, Asie et Amérique du Sud et même à emménager en Espagne. C’est aussi une magnifique aventure d’amitié, de tendresse et d’hommage à votre père:

Alexandra Lapierre : Oui ! Ce livre n’aurait jamais été possible sans la chaine d’entraide et le soutien des amis d’amis d’amis  qui m’ont généreusement introduite, escortée, guidée dans les mondes, pour moi souvent inconnus, que je devais décrire. Quand je dis « les mondes » je veux parler aussi bien du dédale des bibliothèques et des archives, que des villes d’Amérique du Sud, des paysages d’Espagne, des habitants des plateaux andins , de tout ce que je devais voir, sentir, humer, comprendre, deviner pour pouvoir évoquer les univers d’Isabel Barreto avec justesse. Ces formidables rencontres humaines, ces moments de complicité et de partage m’ont en effet bouleversée. La générosité des gens est quelque chose qui m’émerveille et me touche constamment. En ce sens, oui, Je te vois reine des quatre parties du monde est dédié à mon père, Dominique Lapierre, dont la curiosité pour le monde ne s’est jamais démentie. J’espère qu’il me l’a transmise avec la même passion !