« Je me promets d’éclatantes revanches »

Goby6pms.jpg

 Récemment révélée au grand public par l’attribution, fin 2016,  du prix Femina de l’essai à sa biographe, Ghislaine Dunant ( Charlotte Delbo, La vie retrouvée, Ed. Grasset, août 2016, 608 pp) Charlotte Delbo (1913-1985)  résistante communiste, internée aux camps d’Auschwitz et de Ravensbrück,  avait très peu de chance de survivre, du moins moralement, à l’enfer concentrationnaire.  Elle perd son mari, Georges Dudach, fusillé fin mai 1942, quelques semaines après leur arrestation conjointe, le 2 mars 1942,  et connaît, au sortir des camps,  quelques épisodes de dépression.

Mais elle choisit de se tourner vers la vie,  de s’offrir d »éclatantes revanches  » comme elle le promet dans une lettre adressée à Louis Jouvet, peu après sa libération. Elle le fait, construit une oeuvre rare,  puissante, singulière, cathartique, englobant en cette sorte de testament littéraire, ses pairs, compagnons de l’enfer.

Quitter Auschwitz par l’écriture

Entrée en contact avec l’écrivain lors de la rédaction de son suffocant  Kinderzimmer (roman, Ed. Actes-Sud, 2013), Valentine Goby est saisie par la puissance verbale de son écriture, d’un travail sur la langue qui tente de nommer l’indicible, de s’en affranchir, de témoigner pour ses compagnes non « Revenue[s] d’entre les morts’.

« Auschwitz y surgit en textes souvent courts, scènes tantôt hallucinées, tantôt d’une sidérante acuité, sensations vives, poèmes, récits du retour déclinés à la façon d’une litanie. C’est une mosaïque de visions stroboscopiques, de sons sans raccords, qui en dépit de la monotonie du décor, la boue, la neige à l’infini, ne forment jamais complètement paysage. La glace. Le ruisseau. La civière, les mortes tête pendante. L’appel. La tulipe à la fenêtre d’une maison isolée. Le block. La soif. La terre au fond des tabliers. Un râle, la nuit. Auschwitz est une expérience du fracas restituée tesson après tesson, et l’écriture une entreprise d’ordre archéologique. » 

L’essayiste, romancière, balise sa démarche, le processus de sa quête – c’est par la non-juive Charlotte Delbo que la non-juive et partant, peut-être moins « autorisée »,  Valentine Goby a accès à Auschwitz – et d’une révélation sidérante de solidarité:

« C’est mon voyage et non le sien. Je ne détiens aucune clé, j’ignore bien des motifs souterrains, des intentions silencieuses, conscientes ou inconscientes de Charlotte Delbo, j’émets seulement des hypothèses. Je cherche des clés moins en elle qu’en moi. Ce que j’écris, c’est un regard. Une tentative de décryptage du processus intime à l’œuvre entre auteur et lecteur, une traversée sur le fil mince, tremblant, qui nous relie l’un à l’autre, l’une à l’autre; relie nos langues, nos morts, notre préférence pour la vie.« 

Une solidarité qu’on retrouve –  du moins, je le crois, en infusant les extraits présentés – dans l’écriture même de cet hommage,  de cette rencontre d’âmes.

Qui en saisit les paradoxes, les côtés dérangeants:

« Jusqu’à la lecture de Charlotte Delbo, ces heures passées sous les néons de la bibliothèque Clignancourt, j’aurais juré aussi qu’un déporté était toujours mort à lui-même, en dépit de toute volonté. C’est une des raisons pour lesquelles l’écriture de Charlotte Delbo dérange: par sa grâce, elle peut refuser de vivre en victime. »

Apolline Elter

« Je me promets d’éclatantes revanches » Une lecture intime de Charlote Delbo, Valentine Goby, essai, Ed. L’Iconoclaste, 30  août 2017, 192 pp