A pied à Jérusalem – 184 jours, 184 visages

 

  

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 » L’une des leçons que me donne le grand chemin est qu’il aide à se défaire des avis préconçus et des préjugés. Le chemin ouvre sur un inconnu toujours plus beau, toujours plus prometteur. Les accueils se succèdent mais ne se ressemblent pas. On m’offre  tantôt une chambre dans un hôtel de passe, tantôt un canapé dans un home de vieillards ou un lit dans l’orphelinat de Zranjedin, une ville industrielle située au nord du pays.

 

Enlisé dans la trame  d’une vie par trop convenue, Sébastien de Fooz quitte sa ville de Gand, le dimanche – pascal – 27 mars 2005, direction: Jérusalem. Une distance de 5920 kms qu’il effectuera à pied, armé d’un sac à dos, d’un billet de 50 € et d’un manche de balai,… en guise de bâton de pèlerin.

 

Une expérience de vie forte, dure et enivrante à la fois,  qu’il consigne dans un ouvrage et par le biais de conférences passionnants: outre qu’il a le verbe facile, Sébastien ménage des effets d’humour et de surprise qui rendent le propos captivant.

 

184 jours qui le verront traverser Belgique, Allemagne, Autriche, Croatie, Hongrie, Serbie, Roumanie, Turquie, Haut-Plateau d’Anatolie, Syrie, Liban et Jordanie pour brandir, le 2 octobre, le manche à balai devant la porte de Jaffa (Jérusalem). 184 jours qui signeront tant de rencontres avec ces inconnus qui lui ouvrent, presque chaque soir,  porte et table garnie. Si l’enjeu du départ semble la quête d’une paix et donc d’une liberté intérieures, les destins tragiques et les souffrances rencontrées chargeront le sac de Sébastien de Fooz d’une mission ajoutée:  les porter jusqu’à Jérusalem.

 

« Je saisis à cet instant précis que, au fur et à mesure des rencontres et de l’évolution du voyage, ma marche se charge de sens. »

 

Sébastien de Fooz a pour puissant viatique la foi chrétienne, il offre également au lecteur une réflexion existentielle sur la dimension intérieure d’un pèlerinage: « Une avancée de quelques millimètres sur la distance qui sépare la tête du coeur. »

 

Une lecture hautement recommandée,

 

Apolline Elter

 

 A pied, à Jérusalem, 184 jours, 184 visages, Sébastien de Fooz, ed. Racine, mai 2007, 262 pp, 22, 95 €

 

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  Billet de faveur

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AE: Sébastien de Fooz, la question qui me taraude, est celle du retour: comment revenir les pieds sur terre, quand ces mêmes pieds l’ont tant foulée? Comment avez-vous réintégré « notre » vie par la suite?

 Sébastien de Fooz: (photo: Donatienne Dierckx)

  Ce voyage était comme un rêve que je vivais avec les yeux ouverts. Chaque pas posé me rapprochait un peu plus de mon objectif. Mais une fois arrivé à la destination que je m’étais fixée, je me suis rendu compte que cela allait me mener vers autre chose, quelque chose de bien plus passionnant que l’aventure en solo : le partage. A quoi bon vivre l’extraordinaire intensité de l’instant présent si on ne peut le partager? Depuis mon retour, j’ai l’impression d’avoir entamé un nouveau pèlerinage à une époque passionnante mais parsemée de doutes

 AE: Ce pèlerinage ne peut être une fin en soi. Qu’a-t-il changé dans votre façon de voir la vie ? Nourrissez-vous de nouveaux projets?

 Sébastien de Fooz:

    J’ai confiance en l’homme, à sa capacité de rebondir, à sa faculté de se remettre en question. Si on se confronte à la différence avec humilité et ouverture, on entre dans cette espace de liberté qu’est le dialogue. C’est ce que mon dernier pèlerinage m’a appris. Maintenant, je travaille avec une équipe de 5 personnes à un nouveau projet fabuleux : ouvrir une voie de dialogue qui traverse l’Europe et le Proche-Orient par une marche relais fait par des citoyens qui ont le désir de traverser les différences en se laissant pétrir par les bienfaits de la marche.

 AE: Cette pierre que vous prélevez à Dachau et déposez dans le Mur des Lamentations, ce manche à balai qui ne vous quitte d’un pouce, ..balisent la quête d’une forte portée symbolique. Par contre, le billet de sécurité de 50 € vous brûle les doigts, vous l’abandonnez quelquefois, avec soulagement,  et il renaît de ses cendres par le (bien)fait de vos proches. Etait-il finalement un parasite dans votre rencontre avec l’inconnu ?

 Sébastien de Fooz:

 Étonnamment, je me suis rendu compte que plus j’étais dans le détachement, plus les choses dont j’avais substantiellement besoin venaient à moi. Ainsi, au début, lorsqu’on me proposait de l’argent, cela me mettait mal à l’aise. Finalement, je me suis dit que l’argent qu’on me proposait était également une occasion pour mon bienfaiteur de participer à mon pèlerinage. Lorsqu’on vit cette lente déconstruction qui s’opère dans l’homme qui marche à une époque numérique, on intègre une autre économie, non quantifiable par l’échange monétaire, mais quantifiable par l’aptitude à donner sans compter. Lorsqu’on goûté à cela, on entre dans une économie audacieuse où le grand perdant est l’égo.

 AE: Nos billets de faveur évoquent chaque fois les madeleines (de Proust) des auteurs. Des crêpes, dans votre cas?

  Sébastien de Fooz

 Oh la la ! Vous me prenez par les sentiments ! Oui, j’ai un grand faible pour les crêpes ! Lorsque je suis arrivé après 160 jours de marche en Syrie, dans le monastère de Deir Maryakub à Qâra, une des sœurs m’a fait des crêpes. Je n’ai plus su repartir et j’y suis resté dix jours ! Si vous allez en Syrie, allez voir sœur Claire-Marie dans le fabuleux monastère fortifié de Deir Maryakub de Qâra, et demandez-lui de vous faire des crêpes. C’est à vous faire fondre les derniers remparts de l’a priori…