douleur épistolaire

A Madame de Grignan

  Paris, vendredi 6 février [1671]

         Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre ; je ne l’entreprendrai pas aussi . (…)

J’ai beau chercher ma chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu’elle fait l’éloignent de moi. Je m’en allai donc à Sainte-Marie, toujours pleurant et toujours mourant. Il me semblait qu’on m’arrachait le cœur et l’âme, et en effet, quelle rude séparation ! je demandai la liberté d’être seule. On me mena dans la chambre de Mme du Housset, on me fit du feu. Agnès me regardait sans parler ; c’était notre marché. J’y passai jusqu’à cinq heures sans cesser de sangloter ; toutes mes pensées me faisaient mourir. J’écrivis à Monsieur de Grignan ; vous pouvez penser sur quel ton.J’allai ensuite chez Mme de la Fayette, qui redoubla mes douleurs par la part qu’elle y prit. (…) Je revins enfin à huit heures de chez Mme de la Fayette. Mais en entrant ici, bon Dieu ! comprenez-vous bien ce que je sentis en montant ce degré ? Cette chambre où j’entrais toujours, hélas ! j’en trouvai les portes ouvertes, mais je vis tout démeublé, tout dérangé, et votre pauvre fille qui me représentait la mienne. Comprenez-vous bien tout ce que je souffris ?

  

Certes, Marquise, l’on vous peut comprendre: le départ de Françoise pour Grignan vous laisse désemparée. Mais, de grâce, songez au désarroi de cette dernière qui vous confia, faute de pouvoir l’emmener, sa chère Marie-Blanche, à peine âgée de deux mois et demi..