Nous étions faits pour être heureux

cvt_Nous-etions-faits-pour-etre-heureux_4444.jpeg« C’est étrange comme il suffit d’un rien pour qu’une vie se désaccorde, elle aussi, que notre existence, tellement unique, précieuse, perde son harmonie et sa valeur. »

A ceci près qu’un rien, c’est quelque chose.

Sans cela, Serge, brillant sexagénaire, doté d’une belle, aimante et jeune femme, Lucie, de deux bambins adorables, Théo et Chloé, d’une situation aisée – il est agent immobilier – et de migraines effroyables, n’aurait pas remarqué Suzanne,  narratrice, quadragénaire un peu fanée, accordant sa vie à celle d’Antoine, son mari et à ces pianos dont elle restitue l’harmonie.

Car, et c’est sans doute, la clé.. de voûte de ce roman, subtil, complexe, « olmien » dans toute son ampleur, la vie est une partition dont il faut (tenter de)  trouver le juste accord.

Charles Gounod et son Air de Valentin (« Avant de quitter ces lieux… », Faust), Franz Liszt et sa célèbre sonate en Si mineur (un penchant perso pour  l’interprétation de Georges Cziffra…) impriment à une lecture déjà riche de sens, de parfums et de couleurs, une atmosphère particulière, émouvante, attachante.

Passerelle d’un retour sur enfance d’un homme qui s’est trompé d’octave, Suzanne se donne à Serge, voit son couple voler en éclats-  « Je ne lui ai pas dit que ma vie avait été sauvée, et perdue, grâce à lui. » – mesurant par le biais des confidences dont elle est la dépositaire, le mystère et l’imperfection cruelle de leur relation amoureuse. 

 » Je suis cette femme qui se retourne et s’en va.Se perd pour la première  fois. Dans son propre quartier. Je marche, et les rues que je laisse derrière moi s’écroulent en silence. »

Apolline Elter

 Nous étions faits pour être heureux, Véronique Olmi, roman, Albin Michel, août 2012,  230 pp, 18 €

 

Billet de faveur

AE : «  Nous étions faits pour être libres, nous étions faits pour être heureux », le poème de Louis Aragon ( « Un homme passe sous la fenêtre et chante ») consacre l’échec de la jeunesse, votre roman, une culpabilité enfantine insidieuse et destructrice, un drame de la filiation. La vie est-elle une musique dont la partition s’écrit de l’encre indélébile de l’enfance ?

Véronique Olmi : L’enfance est fondatrice, mais nous pouvons dépasser, adultes, les traumatismes et les blessures qui y sont parfois liés. Ainsi, nous ne serons pas victimes, mais conscients et agissants. Bien sûr, cela est possible si nous ne nous mentons pas à nous-mêmes, si nous acceptons d’être lucides, ce qui n’est pas simple.  

 AE : Une figure émerge, lentement, parmi les protagonistes du roman : celle de Lucie, l’épouse de Serge, jeune, belle, aimante ; comblée de deux enfants et d’un mari fortuné qui n’entend rien lui refuser. Elle semble lisse, heureuse, lumineuse, soucieuse d’accorder son humeur à celle de son mari…une vraie icône des années soixante. Dans la souffrance, elle fait front, honnête et digne car elle ne triche pas. Cette pureté la rapproche de Suzanne, sa rivale,… une propension au sacrifice, aussi ?

Véronique Olmi: J’espère qu’aucune des deux ne se sacrifient. Ce sont des femmes libres. Chacune quitte son mari, tout de même ! Elles ne sont simplement jamais dans l’aigreur ou la mesquinerie, elles souffrent mais sans être rivales, elles sont trop intelligentes pour ça.

AE : Acteur majeur de l’histoire, le piano lie de ses cordes – et nœuds – tous les personnages du roman. Son clavier symbolise la vie et cette musique que chacun tente de (se) composer. Jouez-vous de cet instrument?

Véronique Olmi: J’aimerais bien. Mais non. Hélas. Je l’écoute, beaucoup, il m’accompagne, mais je suis toujours sur le fauteuil de l’auditrice, jamais sur le tabouret de piano !