Le mangeur de livres

C’est un roman époustouflant.

Sorte de conte fantastique,  allégorique, stupéfiant, rabelaisien,  dithyrambique.

Nous en avons « infusé  » un extrait en ce début avril,  en guise de « camper de propos ».

Nous allons tenter de le résumer sagement…

L’action se passe à Lisbonne à la fin du XVe siècle. Le narrateur, Adar, est un gamin des rues, sorte de Gavroche avant l’heure.

Avec son ami Faustino,  « frère de lait » et jumeau de naissance,  il se nourrit de ripailles et de mets glanés sous les tables des festins.

Capturés par le terrifiant père Gonçalves,  les enfants croupissent, affamés,  dans une geôle.  C’est alors qu’Adar décide d’ingurgiter un codex.

Las, ce dernier est empoisonné, parcouru des larves d’une vrillette opiniâtre. C’est alors que le roman part en vrille, cascadant une série de comportements effrayants en une orgie de mots, d’incantations,  de descriptions d’anthologie,  tout simplement jubilatoires.

Une véritable ivresse d’écriture, un vrai festin de lecture.

« Moi je suis Adar Cardoso, l’enfant des rues qui a nourri son ventre de la seule chose comestible en sa prison, un vieux codex aux pages découpées en lamelles par on frère de lait.

 Je suis Adar Cardoso, avec mon frère j’ai tué un curé et j’ai cru mourir de faim, enfermé dans une crypte. Est-ce ma faute si le livre était empoisonné ?

 Est-ce ma faute s’il était livre-ver-solitaire, livre- bactérie qui se développe comme la levure dans son pain, livre-lombric qui contamine et qui croît comme le virus dans sa narine, livre-crabe qui se déverse dans le  sang comme un cancer? « 

Allégorie de l’inextinguible faim de lecture, ce premier roman est un monument

« Lorsque vous avez dans la bouche un codex de haute graisse, que vous lui brisez l’os et le sucez jusqu’à la substantifique moelle, alors la matière libère cet incomparable nectar qu’elle garde dans le pli de ses formes et qui exprime la mémoire des transformations qu’on lui q fait  subir. »

Je vous en recommande instamment la lecture

Apolline Elter

Le mangeur de livres, Stéphane Malandrin, roman, Ed.  du Seuil, janvier  2019,  192 pp

Billet  de ferveur

 AE :  Sous des dehors carnavalesques, incongrus, « pieds nickelesques » le roman témoigne d’une importante recherche documentaire Quelle est l’intention du «  Mangeur de Livres ? »

 Stéphane Malandrin :  C’est d’abord une déclaration d’amour aux livres, à la littérature, à la langue française. C’est une déclaration d’amour aux lecteurs, aux libraires, à tous les librophiles, libropathes, libromaniaques, qui se reconnaîtront — je l’espère — dans le portrait que j’ai voulu faire de notre amour frénétique des livres.

AE :  Mais à force de trop manger de livres, le « Mangeur de livres » devient monstrueux ? Sommes- nous monstrueux ?

Stéphane Malandrin :  Oui je crois que nous le sommes ; je crois que nous sommes devenus des montres livresques, des monstres-data, des monstres-textuels. Nous vivons dans un monde virtuel et réel saturé de signifiants, de phrases, de slogans, de paroles, de verbatim, d’éléments de langage, de mots nouveaux, de commentaires et de commentaires sur les commentaires où les phrases et les mots finissent par s’engendrer tous seuls comme les démons aux corps boursouflés d’une peinture de Jérôme Bosch. Je vois notre monde comme un monstre-textuel devenu incontrôlable et gigantesque, monstrueux, gargantuesque, où la parole s’effondre à force de jaillir en tourbillon, et j’ai été chercher Rabelais et le Moyen-âge pour m’aider à décrire ce sentiment de monstruosité.

 AE: Quelle est cette monstruosité ? 

Stéphane Malandrin:  Roland Barthes a écrit : « La langue n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger de dire. » Donc la langue est domination, injonction, ordre, autoritarisme. La langue est par essence monstrueuse. « En chaque signe dort ce monstre » a-t-il écrit ;  mais la littérature est là pour mettre en scène ce monstre, elle est là pour s’en moquer, pour célébrer et danser sur son ventre, pour que la science et la parole redeviennent une fête, pour s’en libérer et jubiler. J’ai voulu faire un livre « rabelaisien » parce que j’ai voulu m’émanciper de notre injonction contemporaine qui est — d’un côté — celle d’une certaine littérature « à l’os », où les phrases font quatre mots et on trouve ça beau ; et — de l’autre — celle de la parole médiatique, qui engendre les euphémismes ridicules de la nov-langue néo-libérale, celle des entreprises et des gestionnaires qui trouvent pertinents de voir le monde en terme de process et de start-up nation. J’ai fait ce livre parce que j’avais envie de célébrer cette mythologie insensée qu’est la littérature, me débarrasser, par son écriture, de la neurasthénie et de l’aigreur qui nous contamine ; m’en guérir, en quelque sorte ; mon livre est une fête, une fête offerte à notre littérature et à la fabrication des livres, je le vois comme ça, comme un livre médical.

[1] Leçon.

AE : Vous êtes Français et vivez en Belgique, terreau réputé du récit fantastique.  Le contact avec notre culture a-t-il influencé votre écriture ?

Stéphane Malandrin  : J’habite à Bruxelles depuis près de 20 ans maintenant, et oui, bien sûr, c’est au contact de ce pays, que j’ai écrit Le Mangeur de livres, parce que la Belgique est pour moi le pays de l’irréverrescence, le pays de l’excès carnavalesque, le pays du ventre, des géants, le pays où l’on fait des attentats pâtissiers, le pays où l’on entarte les torches-culs qui se prennent aux sérieux, comme l’aurait fait Rabelais en son temps, lui qui a inventé le mot d’Agelaste, pour fustiger ceux qui ne savent pas rire, qu’il détestait, oui la Belgique est le pays du rire, le pays de Poelvoorde, de Arno, de Brel, de la truculence et de l’excès. C’est pour moi un pays de liberté artistique, un endroit où la langue française n’a pas peur de se réinventer dans ses racines populaires. Je n’aurai pas écrit ce livre si j’étais resté à Paris, c’est sûr.

 A noter en vos agendas :  Stéphane Malandrin est l’invité de la Librairie Point Virgule (rue Lelièvre, 1  à Namur-   Belgique ), ce vendredi 3 mai  (soir) 

Informations et inscriptions sur le site de la librairie : http://www.librairiepointvirgule.be 

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