La dernière bagnarde

screen-capture-2-33-d15e9.jpgAvec pour point de départ l’enquête menée en 1923 par Albert Londres, un confrère journaliste, auprès de Marie Bartête, la dernière bagnarde de la République, échouée depuis quarante ans sur l’île pénitentiaire de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane française),  le roman de Bernadette Pécassou-Camebrac est stupéfiant. Saisissant, captivant, terrifiant.. et envoûtant à la fois.

Quelques délits mineurs – des chapardages – vaudront à la jeune Marie Bartête, âgée de 20 ans, d’être envoyée au bagne, obéissant ainsi au plan, vicié, de repeuplement de la colonie. A ces quelque 2000 femmes, embarquées de France, dans des conditions sanitaires déplorables, le Gouvernement faisait miroiter la possibilité d’une vie nouvelle: le mariage avec  un ancien bagnard permettrait aux rejetés de la société de fonder un foyer -pourquoi pas..-  heureux.

La réalité est toute autre qui voit la vie dans l’île proprement – ce n’est pas le mot – infernale: parquées dans un sordide carbet (petit logement  insalubre), confiées à l’autorité d’une mère supérieure tyrannique, à l’arbitraire de fonctionnaires peu motivés, à la perversité sadique d’anciens bagnards promus violeurs et  bourreaux, les femmes tentent de survivre aux conditions dantesques de leur réclusion.

« Pour nous, ma mère, ils ont trouvé la « guillotine sèche », on crève sous la chaleur. Pour vous, c’est la « guillotine humide », ils vous entassent dans ce carbet suintant de microbes. »

C’est le règne de la non-loi.

 » La confusion la plus totale régnait jusque dans les esprits les mieux constitués. Les repères et les valeurs habituelles qui régissent toute société normale s’étaient, ici désintégrés. »

L’arrivée de Romain Gilot, jeune médecin, pétri d’idéal – en proportions heureusement raisonnables et actives – apporte une  bouffée de fraîcheur et d’espoir dans l’horreur du cloaque tropical.

Cernant de manière magistrale et fouillée les conditions de vie imposées aux bagnardes, le roman de Bernadette Pécassou – Camébrac dénonce un scandale historique d’autant plus redoutable qu’il n’intéressait guère personne.

Une lecture recommandée.

Apolline Elter

La dernière bagnarde, Bernadette Pécassou- Camébrac, roman, Flammarion, avril 2011, 312 pp, 20 €

Billet de faveur

AE: Bernadette Pécassou-Camébrac, c’est un univers concentrationnaire, d’autant plus sordide et pervers que longtemps négligé, que vous dénoncez dans votre roman.  A part l’article d’Albert Londres, à quels documents avez-vous eu accès pour nourrir le récit?

Bernadette Pécassou-Camébrac: La grande difficulté de ce travail était le vide absolu de mémoire directe. Aucune des femmes illettrées n’a laissé de témoignage direct. J’ai donc travaillé sur les documents de base, les archives d’Aix-en-Provence qui contiennent tout ce qu’on l’on gardé de mémoire « administratives » de ces femmes. Et il faut souligner que l’administration pénitentiaire est froide mais méticuleuse. Et puis il y a tout ce qui a été recensé en matière de récits de bagnards dans lesquels on glane çà et là quelques détails et enfin un travail remarquable d’une archiviste, Mme Odile Krakovitch, sur les femmes au bagne. Enfin j’ai travaillé aussi sur ce que j’appellerais le périphérique. Autrement dit les témoignages de ceux qui étaient au bagne en même temps que ces femmes en temps qu’administrateurs ou surveillants ou autres, les sœurs de Cluny et les médecins. Par exemple l’un d’eux, Norbert Heyries, qui a laissé des lettres, des récits style journal, et des dessins. La matière est multiple mais très éparpillée, jamais recensée, d’où la difficulté de ce travail minutieux.

 AE: Evitant l’écueil du manichéisme et des portraits caricaturaux – merci! – vous permettez à certains protagonistes d’évoluer au contact de cet enfer terrestre. Telle cette mère supérieure qui, rigide, bornée, odieuse  et inflexible au départ, va traverser une crise de confiance et rencontrer, finalement, sa vraie vocation. C’est un tout beau portrait que celui de cette jeune aristocrate sacrifiée sur l’autel de la religion, pour des raisons purement patrimoniales. Vous est-elle inspirée d’une personne réelle?

Bernadette Pécassou-Camébrac: Oui, d’une que j’ai connue de près. Et même de plusieurs qui ont eu à subir ce genre de décision. C’était chose courante que ces jeunes filles de bonne famille dont on se débarrassait dans les couvents.

 AE: Romain Gilot, le jeune médecin, c’est un peu le Messie?

Bernadette Pécassou-Camébrac: Romain Gilot le messie ? je pense que chacun le voit à sa façon. En tout cas son personnage est pur. Il incarne l’idéal et la confiance que la jeunesse a dans la vie et aussi l’amour que l’on porte à ce que l’on fait. Romain Gilot était réel et actif, enthousiaste. Le messie est-il cela ? Peut-être.