Le vent (Emile Verhaeren)

Le vent (Emile Verhaeren)

Avis de tempête: voici le second volet de nos émotions poétiques inspirées d’Emile Verhaeren.Le poème a paru dans le recueil Les villages illusoires (1895)

Le vent

Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant Novembre,
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffles lourds battant les bourgs,
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent.
Aux citernes des fermes,
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort dans leurs mélancolies.
Le vent rafle, le long de l’eau,
Les feuilles vertes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre;
Le vent mord dans les branches
Des nids d’oiseaux;
Le vent râpe du fer,
Et peigne au loin les avalanches,
– Rageusement – du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.
Dans les étables lamentables
Les lucarnes rapiécées
Ballottent leurs loques falotes
De vitre et de papier.
– Le vent sauvage de Novembre! –
Sur sa hutte de gazon bistre,
De bas en haut, à travers airs,
De haut en bas, à coups d’éclairs,
Le moulin noir fauche, sinistre,
Le moulin noir fauche le vent,
Le vent,
Le vent sauvage de Novembre.
Les vieux chaumes à cropetons,
Autour de leurs clochers d’église,
Sont soulevés sur leurs bâtons;
Les vieux chaumes et leurs auvents
Claquent au vent,
Au vent sauvage de Novembre.
Les croix du cimetière étroit,
Les bras des morts que sont ces croix,
Tombent comme un grand vol,
Rabattu noir, contre le sol.
Le vent sauvage de Novembre,
Le vent,
L’avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes ;
L’avez-vous rencontré le vent,
Celui des peurs et des déroutes;
L’avez-vous vu cette nuit-là
Quand il jeta la lune à bas,
Et que, n’en pouvant plus,
Tous les villages vermoulus
Criaient comme des bêtes
Sous la tempête?

Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant.
Voici le vent cornant Novembre.

Source: L’Encyclopédie de l’Agora

3 commentaires sur “Le vent (Emile Verhaeren)

  • Adrienne 17 janvier 2010 at 9 h 47 min

    qui aurait encore envie de venir dans notre plat pays après avoir lu ça?
    😉
    je réagis toujours fortement à ceux qui vivent au sud de la Loire quand ils me disent que je « viens d’un pays froid et humide » 😉
    merci pour ce (beau) poème!

  • Edmée 18 janvier 2010 at 16 h 47 min

    Oh que c’est beau … une succession d’imges et de sons, notre pays plié et remué par le vent de Novembre, et les mots de ce grand homme, chant du quotidien éternel…

  • Un petit Belge 18 janvier 2010 at 19 h 25 min

    Difficile d’ajouter quelque chose après le beau commentaire d’Edmée… Merci de mettre à nouveau à l’honneur Emile Verhaeren, un des plus grands poètes de Belgique.
    Par ailleurs, j’ai parlé hier de votre blog sur le mien.
    Bonne semaine.

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