Ritzy

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 « Chez les Ritz, on naît dans le Valais et on y meurt depuis quatre siècles. Même les ancêtres, les Rissi, les Ritsio, les Rizzo, ne viennent pas de bien loin: le Piémont ou la Lombardie. L’Italie du Nord n’est qu’à trois cents kilomètres. Il n’y a eu qu’un aventurier dans la famille, Laurent Ritz, qui s’est installé à Brigue, à vingt-cinq kilomètres de là, autant dire à l’autre bout du monde. La vallée est un goulet d’étranglement. Personne n’y entre, personne n’en sort. A peine passe-t-on d’une rive à l’autre du jeune Rhône. »

 Le ton est donné. Celui d’une épopée hors du commun,  biographie romancée, qui voit un jeune paysan valaisan gravir les échelons de la hiérarchie hôtelière,  donc sociale,  avec une détermination sans faille, une vision des attentes d’une clientèle huppée, un génie des moyens de les prévenir. L’homme se nomme César Ritz, il fonde l’hôtel  parisien éponyme mais ne profite guère de sa gloire, usé  mentalement par le rythme d’une vie par trop effréné. 

Pour un premier roman, on peut dire que c’est un coup de maître: Pauline-Gaïa Laburte a le style vif, judicieusement assaisonné, elle fait monter en neige, métaphores et formules bien frappées, campant, on ne peut mieux, l’atmosphère de l’époque, la psychologie,  l’ambition du protagoniste, qui « veut inscrire son nom au Panthéon de l’hôtellerie », sa rencontre avec Auguste Escoffier et le tandem professionnel infaillible qu’ils constituent.

«  Auguste, César, deux empereurs se jugent, se jaugent et se reconnaissent égaux. Chacun son pays, hôtelier, cuisinier, au sein d’un même empire. »

 Construction maîtrisée, plume qui ne l’est pas moins… on ne peut que s’incliner devant ce bijou de lecture dont la parution coïncide avec la réouverture du palace de la place Vendôme, ce proche printemps…

Ritzy, Pauline-Gaïa Laburte, roman, Ed Albin Michel, février 2016, 202 pp

Billet de faveur

AE : Pauline-Gaïa Laburte, vous signez un premier roman … fabuleux : certaines scènes relèvent du cinéma tant leur rendu est précis, vivant, éloquent. Quelles furent vos sources d’écriture ? Le Ritz vous a-t-il ouvert la porte de ses archives, mémoires hôtelières ?

Pauline-Gaïa Laburte : Avant de commencer l’écriture d’un texte, je commence toujours par une longue phase de recherches. Pour Ritzy, je me suis plongée dans des archives sur le Paris de l’époque, je me suis inspirée de photos des années 1900, de l’Exposition Universelle et surtout j’ai relu Zola, qui a été une vraie mine d’or ! Il y a des hommages à sa Curée dans Ritzy, et une connivence certaine entre César Ritz et les personnages d’Au Bonheur des Dames, cette rage de réussite, cette passion de l’ascension sociale. Pour les scènes dans les palaces, j’ai fait des recherches 2.0. Beaucoup de grands hôtels à travers le monde ont des sites Internet qui retracent leur histoire. L’histoire, pour les hôtels, a une vraie valeur patrimoniale ! J’ai ainsi pu retrouver des photos de ces lieux en 1880, 1890.

Pour le Ritz, je me suis appuyée sur la biographie – très fleur bleue – écrite par Marie-Louise Ritz, la femme de César, et sur l’ouvrage bien plus sérieux de Claude Roulet, qui a travaillé pour le Ritz pendant 25 ans et a eu accès à leurs archives. Pour le reste, j’ai laissé faire mon imagination, car je ne voulais surtout pas écrire une biographie ! En tant que romancière, je laisse mon esprit se promener dans les scènes que je créée. Vraiment, j’ai en tête le décor, la rue, les immeubles, ou les intérieurs, avec leurs détails, la couleur de la tapisserie, les meubles, l’espace, et je vois les personnages évoluer dans ce cadre. Je prends le temps de me dire « ok, que se passe-t-il dans cette scène, le personnage est à la montagne, le soleil se lève, comment est l’ambiance ? il fait froid, les oiseaux ne chantent pas encore, l’herbe est humide et la rosée trempe le pantalon, quelqu’un tousse derrière lui ».

Rendre un lieu vivant par l’écriture, ce n’est pas seulement planter le décor, c’est faire sentir l’ambiance, et surtout ce que ressent le personnage, c’est lui qui donne l’étincelle de vie aux lieux. J’essaye de vraiment m’attacher à retranscrire le décor par ses yeux. Par exemple, quand César Ritz débarque de son petit village suisse à Paris, il voit la capitale comme un formidable endroit de découvertes. Il a 17 ans, il a envie de tout voir, l’écriture doit retranscrire cette soif d’aventure, les journées à 100 à l’heure, il y a des envolées lyriques. Par contre, lorsqu’il atteint la quarantaine, qu’il est épuisé par tous ses voyages, les phrases se raccourcissent. C’est le personnage qui modèle le décor à son image et l’écriture est au service de ça.