Le tombeau du guerrier

9791090175037FS.jpg » Ce n’est pas croyable! C’est le genre de choses qui ne se passe que dans les romans… Seize ans pour exhumer trois lettres d’un tiroir, ce n’est pas terrible pour un archéologue, tu l’avoueras! »

Surgissant dans la vie de Margaux après un silence inexpliqué de seize ans, Howard Lejeune, éminent archéologue, l’arrache à sa routine parisienne pour l’emmener en Syrie, sur un chantier de fouilles, majeur pour l’Histoire de l’Humanité: il s’agit d’expliquer le « destin ultime de Lugalzagezi« , roi de Sumer et de dater sa mort avec précision.

Cédant à la double résurgence de sa passion amoureuse et scientifique, Margaux intègre l’équipe de la mission. Elle en observe les personnalités avec un regard empreint d’humour et d’acuité:

 » Puis il y avait Clémence, la doyenne du groupe, qui exerçait la profession de paléoanthropologue. A plus de quatre-vingts ans, l’essentiel de ce qui différenciait cette antique demoiselle de son sujet d’étude était une couche de peau ridée recouvrant son ossature et le fait qu’elle avait l’usage de la parole. Clémence parlait plus que Cévé, ce qui n’était pas difficile, usant d’un vocabulaire suranné qui ne lui servait qu’à exprimer des idées positives et un émerveillement immarcescible pour tout ce qui l’entourait« 

Oscillant entre complicité et …frustrations, le couple  formé par Margaux et Howard s’engage dans le chemin ardu des fouilles  – on doit à Marie-Eve Sténuit une relation vivante et précise du mode opératoire de celles-ci – et de l’éthique scientifique.

« Les ruines n’ont pas de seconde chance »

L’ amour l’aura-t-il?

Le cinquième roman de Marie-Eve Sténuit confirme une plume très belle, subtile,  finement ciselée d’humour, d'(auto)-dérision et de rigueur philosophique.

Je vous le recommande.

AE

Le tombeau du guerrier, Marie-Eve Sténuit, roman, Ed. Serge Safran, avril 2012, 192 pp, 17 €

 Billet de faveur

AE : Marie-Eve Sténuit, vous êtes archéologue, vous dédiez le roman à un archéologue décédé, quelle est la part de vécu dans cette expédition en Syrie :

Marie-Eve Sténuit : Elle est importante bien sûr, certains passages du « Tombeau du guerrier » ont été écrits sur le terrain et les héros de ce livre sont des personnages mosaïques qui doivent chacun un petit quelque chose à l’un ou l’autre de mes collègues. Mais il s’agit tout de même d’une pure fiction. Il y a longtemps que j’avais envie d’écrire une histoire se déroulant dans milieu de l’archéologie, un monde de passions, peuplé de bien étranges oiseaux. Je crois pouvoir me permettre de le dire, puisque j’en fais partie…

AE :  « Avec  le recul, je réalise que c’est là que se joua mon destin, entre deux bouchées de magret et trois gorgées de graves. » déclare Margaux, émoustillée par ses retrouvailles avec Howard et un charmant dîner en tête-à-tête… On retrouve souvent des propos de table dans vos écrits,  des descriptions ..délicieuses,  rédigées avec un plaisir manifeste. La table a-t-elle une vocation destinale ?

Marie-Eve Sténuit : C’est vrai qu’en y repensant, il y a trois scènes de repas dans ce roman qui n’est pas tellement long. Trois tables différentes, trois atmosphères différentes. Ces scènes ne sont pas gratuites, des choses importantes s’y passent ou y sont dites. Un repas en tête-à-tête ou en famille n’est jamais quelque chose d’anodin. C’est un moment d’intimité et de partage, très révélateur, qui peut déboucher sur le meilleur ou sur le pire. Il y a des scènes de table dans chacun de mes romans, même dans « La veuve du gouverneur » où elles apparaissent plutôt « en creux » puisque je décris une situation de famine sur un navire en perdition et même dans « Le bataillon des bronzes » où les personnages sont des statues qui, en principe, ne mangent pas… Sans doute est-ce parce que je considère la gastronomie comme une des grandes réussites de l’Humanité et le signe d’un degré élevé de culture. (Ou plus prosaïquement parce que j’aime bien manger ?)

AE :  « L’Histoire aujourd’hui devenait mon histoire. Une histoire où la terre était aride, couverte de la poussière des siècles, de millénaires de naissances, d’amours, de destins et de morts. L’aventure que j’étais en train de vivre me parut soudain un grain de sable dans l’immensité de ce désert de civilisations enfouies. »

Est-il meilleure, plus sublime définition de votre métier, de votre passion :

Marie-Eve Sténuit : Il y a certainement beaucoup d’autres définitions possibles, mais l’archéologie est un certainement un métier qui vous donne une perspective particulière sur le monde d’aujourd’hui. A l’échelle de l’Humanité, le destin de nos petites personnes représente encore beaucoup moins qu’un grain de sable. Nous sommes des entités infimes sur la ligne du Temps et parmi les milliards d’êtres qui nous ont précédés et qui nous succèderont. Mais les efforts que nous faisons pour exister et pour faire quelque chose de nos vies ridiculement courtes est précisément ce qui fait notre grandeur et la valeur inestimable de chaque jour vécu, dont il ne faut surtout gaspiller aucune seconde. Jongler avec les millénaires vous apprend vite à remettre les événements à leur juste place.