Le masque de fer

9782262021849FS.jpg« Si l’on parle aujourd’hui encore du mystère de l’homme au masque de fer, ce n’est évidemment pas à cause de l’obscur secret du valet Danger; le siècle sans doute en connut d’autres. C’est parce qu’il a donné naissance à une légende, mieux, à un extraordinaire mythe aux nombreuses ramifications qui a traversé les siècles« 

Arrivé, le 21 août 1669 au donjon de Pignerol – la prison des Alpes italiennes où est enfermé Nicolas Fouquet, l’ancien Surintendant des Finances de Louis XIV  –  Eustache Danger sera tenu au secret le plus total et affublé d’un masque, dans le moindre de ses déplacements. Il s’agit d’éviter à tout prix qu’on ne le reconnaisse…. Il n’en faut pas plus  pour mettre une légende en route, l’alimenter des rumeurs les plus construites et cristalliser les passions sur ce qui deviendra bientôt l’une des grandes énigmes de l’Histoire.

Passant au crible d’une logique méthodique, irréfutable – c’est un atout majeur de l’ouvrage – les documents et faits relatifs au sujet, Jean-Christian Petitfils invite le lecteur à une  enquête historique, construite de façon progressive, limpide et alerte, à la manière d’une vaste partie de Cluedo.

Réfutées les théories extravagantes qui voient en l’homme au masque de fer, un frère aîné, adultérin de Louis XIV – c’est la thèse de Voltaire – un frère jumeau, cadet de quelques heures du même monarque – c’est la conviction de Marcel Pagnol – l’enfant adultérin noir de la Reine Marie-Thérèse et de son page, nommé Nabo – pas de chance, il n’y pas plus sérieuse, chaste et fidèle que la pieuse Reine. Exit  la version qui ressuscite, en la personne du prisonnier masqué,  le comte de Vermandois (fils bâtard de Louis XIV et de Louise de La Vallière), Nicolas Fouquet et celle qui en fait ..une femme.

S’il s’avère donc que l’homme au masque de fer se nommait Eustache Danger, personnalité subalterne et banale, et qu’il avait été consigné au silence parce que mêlé, involontairement (?) et  selon toute vraisemblance  à des tractations secrètes entre la France et l’Angleterre, on peut se demander pourquoi l’on fit tant de foin autour de sa personne. Une des explications est à trouver dans la personnalité même de son geôlier, Bénigne Dauvergne de Saint-Mars: dévolu à sa garde, en même temps que de celle de Fouquet et Lauzun, il avait tout intérêt à augmenter son propre prestige de celui conféré à son prisonnier…

 » (…)les légendes sont coriaces!  Elles plient rarement devant les évidences de la réalité! « 

Démasqué, … à son corps défendant,  Eustache Danger, aura fait couler beaucoup d’encre; par son sérieux, l’opus de Jean-Christian Petitfils constitue un éclairage magistral sur les mentalités du Grand Siècle et l’engouement des siècles postérieurs pour tous genres de rumeurs.

Apolline Elter

Le masque de fer, Entre histoire et légende, Jean-Christian Petitfils, essai, Perrin, 2003, édition revue et augmentée, mars 2011, 324 pp, 22 €.