La réparation

url (19).jpg« Entre Hélène et Ginda, il y avait ce silence autour de cette absente, Salomé. Ni images ni paroles échangées. »

Dotant sa fille du gracieux prénom de Salomé, Colombe Schneck réveille, à son insu, la mémoire de Salomé Bernstein, une cousine de sa mère, exterminée fin 1943, à la suite d’une rafle dans le ghetto de Kovno (Lituanie).

Le silence familial qui pèse sur la période de guerre est à ce point plombé que la narratrice réalise la malédiction diffuse qui pèse désormais sur la tête de son enfant. Elle entreprend dès lors de remonter le cours de l’histoire familiale, celle du ghetto de Kovno et de l’immédiate après-guerre,  interrogeant méthodiquement les survivants, témoins des événements, et leurs enfants.

Une enquête qui la mène à New York,  Jérusalem,  Kovno et Poniwej … au coeur de son ascendance maternelle et de son appartenance à la communauté juive – et  à s’interroger, clef de voûte de ce somptueux témoignage, sur l’essence de la maternité.

 » Pourtant, dix ans après, le jour où enfin j’apprendrai, j’écouterai, je ne jugerai pas, j’approuverai, je serai heureuse de savoir, je serai rassurée, je n’aurai plus peur, j’aurai le droit de me plaindre, d’être de mauvaise foi, d’écouter la peine de ma mère, ma grand-mère, de leur rétorquer, Raya et Macha ont choisi la vie, elles ont bien fait, soyez comme elles, oubliez la honte et la culpabilité. »

La vie est à ce prix.

Apolline Elter

La réparation, Colombe Schneck, témoignage, Grasset, août 2012, 220 pp

Billet de faveur 

AE : Bien plus que le dédommagement symbolique que vous offre la « Commission d’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation » la vraie réparation, est celle que vous avez opérée, par l’enquête et l’écriture de ce témoignage, restituant à Salomé Bernstein son statut d’absente, expurgeant du prénom de votre fille, la malédiction qui lui était associée ?

Colombe Schneck : C’est d’avoir trouvé, le mois et l’année de naissance, le mois et l’année de la mort de Salomé Bernstein, que j’ai eu le sentiment qu’elle devenait enfin une absente. Cette  tentative de réparation est valable pour moi, j’espère mes enfants, neveux et nièces. Elle ne l’est pas pour Raya et Macha, pour lesquelles, il n’y a pas de réparation possible.

AE : C’est l’écriture – épistolaire – qui permet à votre grand-tante Raya de renaître quelque peu à la vie, à la sortie de la guerre.  Il semble, qu’en parallèle, votre propre travail d’écriture, vous a permis de vaincre une sourde menace. La réparation, c’est une ode à la vie ? 

Colombe Schneck : Je ne suis pas certaine que le retour à la vie a été possible pour Raya et Macha. Elles ont eu à nouveau des enfants, écrivaient des poèmes et des lettres, ne se plaignaient jamais, elles pensaient, il me semble,  à la vie future, celle de leurs enfants et petits-enfants. Pour moi, je reprends à mon compte les mots de David Grosman, On n’est plus victime de rien, même de l’arbitraire, quand on le décrit avec ses mots propres. L’écriture de ce livre m’a permis d’entrer plus entièrement dans la vie présente. En ce sens, oui, ce livre est une ode à la vie.

 AE : Le choix qu’a posé Mary, pour ses filles..et petits-enfants est terrible. Nous ne le dévoilons pas car il est le cœur et la clef  du récit : il ne peut se comprendre ex abrupto. Les réactions des lecteurs sont-elles virulentes, à ce sujet ou plutôt compréhensives, bienveillantes ?

Colombe Schneck : Elles sont bienveillantes. Chacun comprend qu’il est impossible de savoir ce que l’on aurait fait à leur place.