Le cri des pierres

«  Je m’appelle Leïla Khaled. Je viens de là où, un jour, demain, le cri des pierres remplacera les lamentations des hommes. »

Le cri des pierres

Avec pour thème central le conflit israélo-palestinien, la suite – attendue – du Souffle du jasmin  (cfr Billet de faveur en vitrine du blog) démêle l’écheveau des événements qui secouent le Moyen Orient, de décembre 1956 à novembre 1995 ( Guerres des Six jours, de Kippour, du Liban, .. avènements de l’Ayatollah Khomeiny, de Saddam Hussein,..). Une gigantesque partie d’échecs se joue qui mènera à la chute des tours du World Trade Center (New York), le 11 septembre 2001. Une partie complexe dont Gilbert Sinoué nous dévoile les séquences avec précision et brio.

Empruntant la forme du roman pour habiller les événements historiques de personnages de chair, aux caractères bien trempés: Hicham, Chahida, Jean-François Levent, Dounia,Joumana, Avram, …l’auteur peint, avec la magie du langage oriental, des fresques saisissantes de limpidité – il restitue la simultanéité des événements à travers différents pays du Moyen Orient –  de cruauté, souffrance,  tendresse et , à l’occasion, d’humour.

« Ce Khomeyni est un détraqué! Un malade mental, fulmina Saddam Hussein. Après le succès remporté par cette caricature de référendum sur l’instauration d’un régime islamiste, voilà qu’il appelle les Irakiens à me renverser! Mais de quelle étable est donc sorti cet âne, cet attardé, cet ignare! »

Et toujours ces sentences, en tête de chapitre, qui ouvrent la voie aux propos qui font suite, quand ce n’est à la compréhension plénière de l’ouvrage.

« Le piège de la haine, c’est qu’elle nous enlace trop étroitement à l’adversaire » (Milan Kundera)

Une lecture utile – précieuse pour la compréhension de sensibilités nourries à la nitroglycérine  – et… passionnante.

Apolline Elter

Le cri des pierres (Inch Allah 2/2), Gilbert Sinoué, roman, Flammarion, septembre 2010, 380 pp, 21 €

 

Le cri des pierresBillet de faveur

AE:  Merci, Gilbert Sinoué pour ce retour sur notre blog. Il nous permet de prolonger, des questions qui nous tiennent à coeur, la lecture de  ce second volet d’Inch Allah.

Le titre, d’abord. Si le Souffle du jasmin laissait espérer quelque allègement dans le destin de la poudrière moyen orientale, le Cri des pierres jette un fameux pavé en direction d’Israël. Sa force suggestive est sidérante, bouleversante aussi. Ne craignez-vous pas la réaction  des Israéliens à la lecture de votre ouvrage?

Gilbert Sinoué : Au risque de vous surprendre, il ne me semble pas avoir « jeté un fameux pavé en direction d’Israël ». Je me suis efforcé au contraire de faire preuve d’objectivité pour ne pas — surtout pas — que cet ouvrage ressemble à un pamphlet qui irait dans un sens ou dans l’autre. Néanmoins, je reconnais que votre remarque rejoint d’autres observations de lecteurs qui, déjà, lors du tome I, sont parvenus à la même conclusion. La seule explication que je trouve est dans l’énonciation des faits. De les citer, ou de les rappeler amène nécessairement à en déduire que je « jette un pavé » lorsque l’on prend tout à coup conscience de certaines d’injustices flagrantes dont les Palestiniens furent et sont victimes. Il faut avoir en mémoire que nombre d’Occidentaux — et ce n’est pas leur faire injure — ignorent l’Histoire de cette région du monde qui, pourtant, se rappelle à nous tous les jours. Dès lors qu’on leur transmet l’information, ils sont interloqués, étonnés, et souvent choqués de découvrir une situation qu’ils n’imaginaient pas. Ils pointent alors du doigt le « fort », en l’occurrence Israël, et éprouvent de la compassion pour le faible — les Palestiniens —. C’est donc cette réaction logique et humaniste qui peut donner à penser que j’ai voulu stigmatiser le camp du puissant.

AE : La complexité des situations décrites, leur enchevêtrement, les susceptibilités en présence… cela a dû vous demander un travail colossal de démêler cet écheveau pour nous le présenter avec une telle clarté ?

Gilbert Sinoué : Ces deux volumes, vous l’imaginez bien, ne sont pas nés en quelques mois. Voilà environ une dizaine d’années que je rumine ce projet et que je rassemble ma documentation. Une véritable plongée dans le labyrinthe oriental ! La difficulté, la très grande difficulté, a consisté en effet ensuite à restituer le puzzle de manière « compréhensive », non didactique, précisément pour que le lecteur s’y retrouve.

AE : Un terroriste, c’est un résistant qui appartient au mauvais camp ?

Gilbert Sinoué: N’oublions jamais qu’un terroriste c’est avant tout un homme qui tue des innocents. Aucun rêve, jamais, ne justifie ce type d’action. Cependant l’Histoire nous a démontré que, selon le camp auquel on appartient, on est soit terroriste, soit résistant. L’exemple de Menahem Begin — entre autres — illustre parfaitement ce paradoxe. Voilà un homme qui a massacré des dizaines de personnes, qui a posé des bombes, et dont la tête fut mise à prix par les autorités britanniques et qui a accédé un jour au poste de premier ministre d’Israël. Arafat lui aussi a toujours été vu comme un chef terroriste, et le monde entier a pu le voir serrer la main d’Yitzhak Rabin sur les marches de la Maison Blanche. Et ces deux hommes ont reçu le prix Nobel de la Paix. Oui. On est toujours le terroriste de quelqu’un à la différence que ce jugement varie selon qu’on est vainqueur ou vaincu.

AE : Si vous deviez inventer une fin idéale à votre ouvrage, consisterait-elle en l’avènement du panarabisme, d’une République arabe unie ? Le conflit israélo-palestinien en est-il le seul frein ?

Gilbert Sinoué: Le panarabisme est un leurre, car il n’existe pas de nations arabes. Seulement des tribus. Le monde arabe n’a hélas jamais quitté l’état tribal. Mon jugement peut paraître sévère, mais il suffit de constater les déchirements auxquels se sont livrées ces régions depuis qu’elles ont accédé au statut de nations. Il existe tout autant de divergences au sein même du monde musulman. Nasser a bien tenté de réaliser d’unifier le monde arabe. Il a échoué. Le conflit israélo-palestinien n’est en rien la raison de cet échec. Pour ce qui est de sa résolution… Je suis, hélas, pessimiste. L’affaire est du domaine de la psychiatrie. Nous avons d’un côté des hystériques (les Arabes) et de l’autre des paranoïaques (les Israéliens). Pourtant, il suffirait de deux hommes pour que la paix aboutisse ce soir, demain. Encore faudrait-il que ces deux hommes providentiels soient disposés à faire le sacrifice de leur vie.

AE : Pour conclure sur une note légère et inaugurer notre nouveau concept- déposé – « Sonate de Vinteuil », pouvez-vous évoquer une musique constitutive ? Une musique qui a marqué un moment de votre vie, de votre personnalité ?

Gilbert Sinoué : Je pense que l’adagio du concerto d’Aranjuez (pour guitare et orchestre) reste pour moi l’une des œuvres musicales qui continue de me toucher le plus.