Le Festival de la correspondance de Grignan. En guise de bilan

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Visible depuis la route de Montélimar, la célèbre plume adossée à la tour du beffroi de Grignan, regagnait son écrin, dimanche  10 juillet, en fin de soirée, après la très belle lecture- spectacle opérée par Marie-Josée Croze et Nicolas Briançon de la correspondance amoureuse – sur fond d’exil – entre Marina Tsvetaeva et Boris Pasternak.

«  Je vis uniquement de notre avenir: le tien et le mien », déclare Boris dans l’un de ces quelque deux cents échanges de lettres et de poèmes qui unit, désunit, les poètes russes et amants, entre 1922 et 1936.

Nouveauté de cette vingt-et-unième édition du Festival de la correspondance de Grignan (fondé, je vous le rappelle, en 1996, par Bruno Durieux, maire de la merveilleuse bourgade drômoise, à l’occasion du tricentenaire du décès, en ses murs de la célèbre Marquise de Sévigné) , les lectures-spectacles du soir (19 et 22h) se déroulaient dans la cour du Château en lieu du traditionnel parvis de la Collégiale. Ce fut, avis largement partagé, un mieux: disposés en amphithéâtre, les (pourtant) vastes gradins constituaient un cocon, écrin de choix pour le caractère intime imprimé aux lectures..

Une motion, standing ovation marquée, .. pour la lecture, jeudi 7 juillet,  des Lettres d’Afrique de Karen Blixen, incarnée par la sublime Marie-Sophie Ferdane.

Nous avons rencontré Virginie Berling qui signait l’adaptation libre, tonique  de cette correspondance, ainsi que celles de Voltaire (magistralement incarné par Jean-Paul Tribout )  » Je me suis fait libre », Cinquante ans d’exil  (livret publié auprès des Editions Triartis, juillet 2016- billet sur le blog en date du 7 juillet) , de  Victor Hugo, L’âme des aigles, lettres d’exil (1851-1871) , Ed. Triartis, juillet 2016, de Louise Michel à Victor Hugo, Nous reviendrons, foule sans nombre: Lettres de la prison et du bagne (1871-1879) , Editions Triartis, juillet 2016) . Nous reviendrons, nous aussi dès les jours prochains, sur ces précieuses publications.

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AE : Pouvez-vous nous profiler en quelques mots, Virginie Berling, votre formation. Elle est particulièrement riche et variée


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Virginie Berling
 : J’ai commencé par faire une école de commerce, HEC, pendant laquelle j’ai passé une licence de philosophie à la Sorbonne. Je me dirigeais vers les mathématiques de la finance et parallèlement vers la gestion d’institutions culturelles (dans mon idée, un théâtre). Toutefois, à la sortie de l’école, j’ai poursuivi par l’étude des lettres modernes, qui ont été une évidence. J’ai donc poursuivi jusqu’à l’agrégation. Le théâtre était toujours en ligne de mire et j’ai soutenu un mémoire de recherche sur Musset.

 AE : C’est Julia de Gasquet, directrice artistique du Festival, qui vous a contactée, je crois, pour l’adaptation des textes. Le choix des auteurs était-il, à ce stade, déjà défini ou les avez-vous suggérés ? 

Virginie Berling : En ce qui concerne le choix des auteurs, Julia de Gasquet a la maîtrise de la programmation. Elle est ouverte et intègre toutes les suggestions.

Voltaire et Hugo se sont imposés d’emblée, tant par leur importance historique que par leur plume. J’avais très envie de travailler Voltaire, dont l’écriture drôlissime est d’une impertinence inconcevable aujourd’hui. Louise Michel était un souhait particulier de Julia de Gasquet, qui a lu l’adaptation: les spectateurs ont désiré retrouver le texte d’origine, ce qui est le plus grand hommage qu’on puisse rendre à Louise Michel.

 AE: Travail colossal que d’extraire, sous des montagnes de lettres, les passages, révélateurs d’une philosophie, d’une pensée, d’un thème prescrit. Il tient à la fois de la synthèse et de la traduction –  le public attend de vous un fil conducteur limpide, éloquent :

Virginie Berling: Le fil conducteur de ces adaptations suit naturellement le thème de l’exil, éloignement de sa patrie d’origine et des siens, distance à soi, à celui qu’on a peut-être été et que l’exil a rendu différent. Si Voltaire, Victor Hugo et Louise Michel ont mené des combats politiques qu’ils ont payés d’un long exil, Karen Blixen s’est ouverte à l’autre, à son « frère noir », au point de se sentir en exil à son retour dans son pays d’origine, le Danemark.

L’exil dans toutes ses acceptions représente la trame de fond. Il donne le squelette d’un discours d’ordre politique, philosophique ou émotionnel.

Au premier plan, la voix fait entendre des moments concrets et intimes qui offrent des respirations indispensables, drôles ou inattendues.

Parfois, les échanges épistolaires ont besoin d’être étayés par d’autres sources de l’auteur: mémoires, carnets, discours, œuvres de fiction, poèmes. Dans une lecture spectacle, le public est guidé. Mais il a toujours besoin de comprendre, par son intelligence, ce qui n’est qu’esquissé. C’est ce qui fait tout le charme des lettres!

 AE: Pointons la prestation de Marie-Sophie Ferdane, sa mise en relief personnelle au départ d’une sélection magistrale – vous m’avez suscité, dès le lendemain,  l’ingestion irrépressible, intégrale du volume  des Lettres d’Afrique (Ed. Gallimard, 1985)… –  avez-vous formulé des consignes à l’égard de l’interprète ?

 Virginie Berling: Marie-Sophie Ferdane a offert sa voix à Karen Blixen, et quelle voix! Cette merveilleuse comédienne a toutes les ressources en elle pour transmettre toute la palette d’émotions que le texte offrait, parfois avec des raccourcis dus à l’adaptation, notamment des traits d’humour. Elle a rendu chaque intonation suggérée par le texte. J’en avais la certitude: elle n’avait pas besoin d’indications de ma part!

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Placé sous les rayons d’un soleil généreux, le Festival dispensait aussi des rencontres littéraires de haut vol, dans la Cour des Adhémar

Pointées pour vous, les rencontres autour  d’Ellis Island  et du roman de Gaëlle Josse, Le dernier gardien d’Ellis Island  (Ed. Notabilia, sept. 2014) – une motion pour l’animation, le professionnalisme de Catherine Pont- Humbert –  et cette d’Emile Zola et de sa correspondance d’exil, qui réunissait en un entretien de haut vol,  Brigitte Emile-Zola, arrière-petite-fille du célèbre écrivain et Alain Pages, professeur auprès de l’Université de Sorbonne nouvelle- Paris 3, spécialiste d’envergure de l’oeuvre zolienne. Les notes prises au cours de l’entretien animé par Baptiste Liger nous décident à travailler la correspondance, pour la rentrée 2017, ainsi que celle de Karen Blixen…

Vous l’aurez compris, le Festival de Grignan est un précieux, vivant vivier pour votre épistolière, 

Apolline Elter

Hommage soit rendu à Bruno Durieux, fervent et inlassable président fondateur, présent sur tous les fronts et aux innombrables, affables bénévoles, équipes précieuses et dynamiques orchestrées par les admirables  Marie-Josèphe Baqué , Anne Prothon et Sylvia Lejeune.